Le pouvoir des mots est immense. Ils peuvent
soulever les foules, fomenter les révoltes, fédérer un peuple, engendrer
tristesse ou moquerie, adhésion ou répulsion… Ils sont aussi le terreau de la
poésie et tuer des hommes trop jeunes, trop rêveurs, trop sensibles pour
résister au monde glacial, brutal et rude qu’est L’Islande en cette fin de
XIXème siècle.
« Entre ciel et terre » est un livre
magique, un des grands coups de cœur de Cetalir, un livre hypnotique, entre
rêve et réalité. Un livre où les vivants et les morts cohabitent parce que la
vie de pêcheurs à la morue, embarqués sur des petits bateaux à rames, à la
merci de ces revirements sporadiques météorologiques sur ces fjords glaciaux,
ne tient qu’à peu de choses. Il faut l’habilité de capitaines, véritables loups
de mer, le recours aux prières, une dénégation totale pour échapper à la mort
par noyade qui cependant frappe régulièrement la population islandaise de
l’époque.
Mais, on peut aussi tout simplement mourir de
froid quand, comme Barour, ce jeune pêcheur trop tendre pour ce métier trop
dur, on s’est laissé envouter par la poésie, qu’on a cherché à retenir par cœur
avant d’embarquer à trois heures du matin, mal réveillé et mal nourri, au point
d’en oublier sa vareuse, ultime protection comme le vent glacial qui arrive du
cercle polaire.
En une centaine de pages envoutantes, avec une
sensibilité rare, Stefansson va nous plonger au cœur du drame qui verra Barour
succombé en mer, sous les yeux désespérés de son ami, lui aussi féru de lecture
et de poésie et tourné pêcheur parce qu’il faut bien survivre à cette chienne
de vie.
Au cours des quelques deux cents pages qui
vont suivre, l’auteur va nous conter le périlleux périple de l’ami survivant décidé
à rapporter le livre de poésie, vestige sacré d’une vie qui s’est éteinte trop
tôt, à son propriétaire, un capitaine devenu aveugle et qui possède la plus
grande collection de livres du coin. Or lire est un luxe inouï dans ce monde où
il faut travailler dur, pour gagner peu et survivre à un hiver polaire qui
terre les villageois dispersés dans des chaumières de fortune.
Dans ce périple, voyage initiatique, l’ami
devra choisir entre mourir pour rejoindre son ami et échapper à une vie sans
joie, ou vivre en trouvant une nouvelle raison d’exister. Adviendront de
multiples rencontres, sous la forme de petits contes ou d’allégories, qui
feront surgir une galerie de personnages pittoresques sous la plume fertile de
l’auteur. Le jeune homme en tirera la leçon qu’exister signifie lutter, que la
mort fait partie de la vie, que la générosité et la confiance peuvent survenir
pour ouvrir des perspectives plus en phase avec ses talents inexploités dans le
métier de pêcheur mal dégrossi.
Chaque page est un petit bijou fait d’une
poésie sous-jacente ; le rythme délibérément extrêmement lent favorise le
développement des idées, le glissement imperceptible d’une histoire à une
autre, l’alternance du rêve et de l’éveil. Car trouver son chemin se fait
rarement par révélation soudaine et que l’on devient adulte par dérives
successives.
Alors, n’hésitez pas et précipitez-vous vers
ce petit chef-d’œuvre !
Publié aux Editions Gallimard – 2010 – 238
pages