Superbe titre à
double sens que celui donné au dernier très beau roman de l’Académicien Amin
Maalouf.
Sans jamais citer
le nom du pays dont il est question tout au long du roman mais dont on
comprend, par élimination et déduction, qu’il s’agit indiscutablement du Liban,
Amin Maalouf nous interpelle sur la pertinence des stratégies mises en place
par chacune et chacun de nous face à la survenue d’une guerre qui n’en finit
plus, qui tantôt se clame pour éclater violemment ensuite, les amis d’hier
devenant soudainement les ennemis d’aujourd’hui au nom de la religion, du dogme
ou simplement par le jeu d’alliances aussi mouvantes que peu sûres.
Désorientés sont
les membres de cette bande d’amis. Ils se sont connus sur les bancs de
l’Université où ils formèrent un groupe brillant, toujours prêt à discuter de
tout, à philosopher brillamment. Ils étaient Chrétiens, Juifs ou Arabes et
vivaient en parfaite harmonie dans une société qui se croyait un havre de paix
et de démocratie dans un Moyen-Orient pourtant déstabilisé. Et puis la guerre
survint et, avec elle, la première victime dans leur petit groupe et
l’enlèvement d’un autre.
Du coup, tout
bascula très vite et chacun prit une voix qui lui fut propre. Beaucoup
émigrèrent en France, aux Etats-Unis, au Brésil. Certains restairent pour se
radicaliser, se cacher ou pactiser avec le diable.
Voici plus de
vingt ans qu’ils ne se sont pas vus et c’est à nouveau le deuil qui va leur
donner l’occasion de se retrouver. L’un d’entre eux vient de mourir, emporté
par la maladie. Il fut Ministre et celui que tous haïrent pour sa compromission
et la rupture définitive des idéaux de leur époque, eux qui furent marxistes ou
idéalistes bien dans l’air du temps. A la demande la veuve du disparu auprès de
celui qui est revenu spécialement au pays pour la première fois, ce dernier va
organiser une nouvelle réunion des survivants. Il avait prévu de passer
quelques heures au pays natal. Le voici qu’il y passe de nombreux jours, qu’il
se réapproprie un pays qui n’est plus tout à fait le sien, en même temps qu’il
renoue avec celles et ceux qu’il n’a, pour la plupart, pas revus depuis des
années.
Désorientés sont
ces personnages en ce sens qu’ils ont pour beaucoup quitté l’Orient de leur
jeunesse, celui d’éternelles promesses, de la vie simple, facile et joyeuse.
Désorientés ils sont face à l’explosion de l’islamisme radical qui rend le
vivre ensemble quasiment impossible marquant la fin d’un monde d’insouciance et
le début d’un siècle plein de promesses de violence, de haines et de conflits
parce que trop de ressentiments sont larvés entre l’Occident en crise et
l’Orient en voie de radicalisation.
Construit avec
virtuosité entre écrits collectés par celui revenu au Pays et se retrouvant au
centre de l’intrigue, récits couchés par lui, ceux de ses rencontres ou de ses
réflexions, et narrations ou dialogues de scènes qui illustrent ce monde en
train de basculer, ce roman ne peut que nous interpeler sur ce que nous aurions
fait à leur place et ce que nous aurons, peut-être, à faire si les promesses de
conflits larvés devenaient réalités.
Un livre
admirable, sensible, intelligent et touchant.
Publié aux
Editions Grasset – 2012 – 522 pages