16.11.12

Les désorientés – Amin Maalouf



Superbe titre à double sens que celui donné au dernier très beau roman de l’Académicien Amin Maalouf.

Sans jamais citer le nom du pays dont il est question tout au long du roman mais dont on comprend, par élimination et déduction, qu’il s’agit indiscutablement du Liban, Amin Maalouf nous interpelle sur la pertinence des stratégies mises en place par chacune et chacun de nous face à la survenue d’une guerre qui n’en finit plus, qui tantôt se clame pour éclater violemment ensuite, les amis d’hier devenant soudainement les ennemis d’aujourd’hui au nom de la religion, du dogme ou simplement par le jeu d’alliances aussi mouvantes que peu sûres.

Désorientés sont les membres de cette bande d’amis. Ils se sont connus sur les bancs de l’Université où ils formèrent un groupe brillant, toujours prêt à discuter de tout, à philosopher brillamment. Ils étaient Chrétiens, Juifs ou Arabes et vivaient en parfaite harmonie dans une société qui se croyait un havre de paix et de démocratie dans un Moyen-Orient pourtant déstabilisé. Et puis la guerre survint et, avec elle, la première victime dans leur petit groupe et l’enlèvement d’un autre.

Du coup, tout bascula très vite et chacun prit une voix qui lui fut propre. Beaucoup émigrèrent en France, aux Etats-Unis, au Brésil. Certains restairent pour se radicaliser, se cacher ou pactiser avec le diable.

Voici plus de vingt ans qu’ils ne se sont pas vus et c’est à nouveau le deuil qui va leur donner l’occasion de se retrouver. L’un d’entre eux vient de mourir, emporté par la maladie. Il fut Ministre et celui que tous haïrent pour sa compromission et la rupture définitive des idéaux de leur époque, eux qui furent marxistes ou idéalistes bien dans l’air du temps. A la demande la veuve du disparu auprès de celui qui est revenu spécialement au pays pour la première fois, ce dernier va organiser une nouvelle réunion des survivants. Il avait prévu de passer quelques heures au pays natal. Le voici qu’il y passe de nombreux jours, qu’il se réapproprie un pays qui n’est plus tout à fait le sien, en même temps qu’il renoue avec celles et ceux qu’il n’a, pour la plupart, pas revus depuis des années.

Désorientés sont ces personnages en ce sens qu’ils ont pour beaucoup quitté l’Orient de leur jeunesse, celui d’éternelles promesses, de la vie simple, facile et joyeuse. Désorientés ils sont face à l’explosion de l’islamisme radical qui rend le vivre ensemble quasiment impossible marquant la fin d’un monde d’insouciance et le début d’un siècle plein de promesses de violence, de haines et de conflits parce que trop de ressentiments sont larvés entre l’Occident en crise et l’Orient en voie de radicalisation.

Construit avec virtuosité entre écrits collectés par celui revenu au Pays et se retrouvant au centre de l’intrigue, récits couchés par lui, ceux de ses rencontres ou de ses réflexions, et narrations ou dialogues de scènes qui illustrent ce monde en train de basculer, ce roman ne peut que nous interpeler sur ce que nous aurions fait à leur place et ce que nous aurons, peut-être, à faire si les promesses de conflits larvés devenaient réalités.

Un livre admirable, sensible, intelligent et touchant.

Publié aux Editions Grasset – 2012 – 522 pages