La littérature japonaise contemporaine est riche d’écrivains
dont le dénominateur commun est de créer un espace romanesque où la réalité
semble toujours voilée par une part d’obscurité et une sorte de confusion
entretenue par de dangereuses liaisons avec un monde sombre et fantastique,
parfois au point d’en devenir morbide. Haruki et Ryû Murakami (qui n’ont rien à
voir l’un avec l’autre), Yoko Ogawa ou bien encore à Akira Yoshimura en sont
des représentants à divers titres.
A cette liste prestigieuse il conviendra aussi d’ajouter
Keigo Higashino, considéré comme une des figures majeures du roman policier
japonais contemporain. Le livre dont il est question ici, avec son bien étrange
titre qui dérange, « La maison où je suis mort autrefois », a
d’ailleurs reçu le Prix Polar International de Cognac en 2010.
D’une manière assez fascinante, Keigo Higashino y explore
les raisons pour lesquelles un individu peut se retrouver frappé d’amnésie. On
sait que, souvent, l’origine en est un choc intense et que le cerveau fabrique
alors une stratégie de défense efficace en verrouillant l’accès aux
informations susceptibles de faire resurgir une souffrance intense voire
insupportable.
L’amnésie est précisément l’un des troubles dont souffre une
jeune femme, Sayaka Kurahashi. Mariée depuis peu à un homme toujours absent,
elle est la mère d’une petite fille dont on vient de lui retirer la
responsabilité pour raison de maltraitance. Sayaka ne pouvait s’empêcher, compulsivement,
d’infliger toujours plus de souffrance à son enfant sans être capable
d’expliquer les raisons de ses gestes qu’elle regrette profondément.
A la mort de son père, elle reçoit une clé accompagnée d’un
plan. Une invitation presque explicite à aller se rendre là où cette clé
devrait permettre d’ouvrir une porte dont elle pressent qu’elle dissimule les
secrets de ses propres souffrances. N’osant s’y rendre seule, elle force la
main à son ex petit ami avec qui elle avait rompu brutalement il y a sept ans,
pour l’accompagner sur place.
Lorsque Sayaka et son ami pénètrent dans la maison dont la
clé donne accès, ils découvrent un espace inhabité depuis près de trente ans
mais dans lequel se trouvent
d’étranges éléments (un journal intime d’un enfant, des costumes d’adulte, des
lettres, un télescope, des pendules toutes arrêtées à la même heure…) qui
invitent à décoder ce qui apparaît peu à peu comme une sorte de gigantesque
mise en scène.
Commence alors une enquête où, pas à pas, entre la logique
du jeune homme et les surgissements d’images remontant du passé de Sayaka, une
terrible explication va permettre de comprendre ce qui s’est passé autrefois et
éclairer, du coup, le mal-être de Sayaka.
K. Higashimo mène son récit de main de maître, semant des
indices ici et là auquel le lecteur ferait bien d’être attentif. C’est
d’ailleurs aussi la principale limite de ce roman par ailleurs parfaitement
ficelé que de faire surgir des informations étranges qu’un lecteur de polar
aura tôt fait de détecter comme essentielles voire de décoder tandis que le
petit couple d’enquêteurs semble, pour un temps du moins, passer à côté.
Mais cela n’empêchera pas de dévorer un livre qui se lira
quasiment d’une seule traite et laissera un certain sentiment de malaise du
fait des thèmes qu’il abordera.
Publié aux Editions Babel Noir – Actes Sud – 2010 - 254
pages
Merci à Marie-Noëlle Rolland de la librairie Lirenval de St
Rémy les Chevreuses d’avoir mis cet exemplaire à notre disposition dans le
cadre de la sélection du Prix Michel Tournier.