Publié en 2000, ce long roman, très documenté, s’inscrit
dans la tradition des romans historiques. « Adieu, mon unique » sont
les dernières paroles prononcées par Pierre Abelard au moment de sa mort,
séparé depuis des années de son épouse la belle Héloïse, pour des raisons
profondément politiques.
P. Audouard entreprend donc de nous conter, à sa manière, en
s’appuyant sur de nombreuses références historiques, l’histoire tourmenté de
ces deux amants impossibles qui combinaient celui qui se considérait alors, car
il était fort imbu de lui-même, ce qui a causé sa perte, comme le plus grand
philosophe du monde et l’inventeur de la théologie, et celle qui fut son élève
brillante et amoureuse passionnée au point de tout supporter, même
l’insupportable !
Alors, évidemment, Audouard emprunte un parti-pris pour nous
conter cette histoire romanesque, condensée des tensions de pouvoir qui
secouait la France et l’Europe de ce début du XII ème siècle. Celui de
dépeindre un Abelard tourmenté, un être déchiré entre la conviction de la
justesse de ses pensées qui refondaient le Christianisme en partie, la soif de
pouvoir gagné de haute lutte en s’adjoignant la protection du Chancelier du roi
ce qui le préservait jusqu’à un certain point d’attaques politiques et la
violente passion qui le saisit lorsqu’il fait la connaissance d’Héloise.
Le parti-pris aussi de faire d’Héloise une victime
consentante, une amante prête à tout pour satisfaire un homme impossible, une
mère qui se séparera de son enfant à la naissance pour étouffer le scandale et
protéger les ambitions politiques d’Abelard. Une femme qui ira jusqu’à accepter
l’enfermement dans les ordres lorsque Pierre le lui imposera, comme à lui-même,
pour mieux contenir ses ennemis, se garder les faveurs de l’Eglise, circonvenir
ceux qui tentent de l’assaillir de toutes parts.
Mais les inimitiés furent terribles, à l’image du caractère
impossible d’Abelard. Elles lui coutèrent sa virilité (il fut castré
sauvagement par ses détracteurs), son amour (il fut éloigné d’Héloïse presque à
jamais), ses livres qui furent brûlés en autodafés, jusqu’à sa place dans
l’Eglise lorsque son influence reprit du poids au risque de menacer la
suprématie de Pierre Suger, le tout puissant Abbé de l’Abbaye Royale de
Saint-Denis.
Le récit est assez fascinant et permet de bien comprendre
les tensions qui sont à l’œuvre et qui fondent le pouvoir politique, profondément
ancré sur celui de l’Eglise, elle-même en proie à de constantes luttes
intestines entre ces fondateurs révolutionnaires qui furent à l’origine de
Cluny ou de Vélezay.
Audouard sait donner un côté très humain à cette grande
fresque en laissant le soin au fidèle Guillaume d’Oxford, compagnon de route
d’Abelard et amoureux transi d’Héloïse, fidèle aux deux dans l’adversité, de
nous conter l’histoire dans l’Histoire.
Toutefois, la première partie du roman nous a quelque peu
déçu. Le style en est souvent confus, voire inutilement pompeux, comme une
sorte de tentative très maladroite de rendre la confusion de ce qui se passe.
On s’y perd fréquemment d’autant que les ruptures de temps, de lieux et de
personnages y sont fréquentes et brutales.
La deuxième partie, celle de la séparation, celle de la
fondation du Paraclet par Guillaume puis Héloïse, celle de la perte de Pierre
est en revanche grandiose. Elle est profondément touchante, juste et
précisément débarrassée de ces artifices de style qui mâtinaient la première
partie.
Un récit violent, humain et qui donne à comprendre
l’Histoire à travers les acteurs principaux de ce début de Haut Moyen-Age.
Publié aux Editions Gallimard – 2000 – 392 pages