Après l’étonnante découverte du « Paradis des
poules » que nous avions adoré et dont vous trouverez la note de lecture
sur Cetalir, nous attendions avec impatience la dernière livrée de cet auteur
impertinent et décalé qu’est Dan Lungu.
« Je suis une vieille coco » n’a pas la puissance
scripturale, le souffle débridé, l’humour décapant du « Paradis des
poules ». Le livre est assurément un ton au-dessous même s’il reste
agréable et souvent amusant à lire.
Mica est une femme qui arrive au soir de sa vie et qui se
laisse submerger par des vagues de souvenirs qui arrivent en vrac, sans ordre
chronologique. Des souvenirs qui vont balayer une bonne cinquantaine d’années
d’une Roumanie écrasée par la dictature de Ceaucescu que la propagande s’évertue
à présenter comme le Génie des Carpates. Un génie déconnecté de toute réalité,
isolé par un cour qui l’entretient dans la croyance que tout va bien alors que
le pays marche à l’envers, produit des marchandises invendables et manque de
tout à commencer par la nourriture.
Alors, le système D fonctionne. A force de prévarications,
d’imagination, de détournements de biens, une économie parallèle se développe
qui permet de survivre. Quand on a en outre le privilège de travailler pour
l’exportation et de détenir la
carte de membre du Parti, la vie est beaucoup plus facile.
C’est ce privilège que Mica a connu. C’est l’ancien régime
qui lui a fourni son logement qui, bien que défraîchi au point d’en être quasi
insalubre, lui est cher. C’est l’ancien régime qui a fait de sa fille une
ingénieur. Certes, celle-ci a fui au Canada et s’y est mariée mais il vaut
mieux ne pas trop y penser.
Depuis la révolution qui a vu le dictateur se faire fusiller
un jour de Noël après une mascarade de procès, tout est devenu plus compliqué,
beaucoup plus cher. D’où les regrets, d’où le sentiment, parfois, presque
inavouable, de se laisser tenter en se prenant pour une vieille coco.
Grâce aux voyages dans la ruralité profonde où l’on fabrique
du méchant combustible en foulant pieds-nus le fumier, aux bons moments passés
avec les camarades d’usine, les souvenirs sont conviés pour décrire une
Roumanie qui a vécu d’expédients mais qui a toujours trouvé dans une bonne dose
d’humour et d’auto dérision un moyen peu onéreux de tenir le coup. On rit
souvent aux bonnes blagues sur le couple Ceaucescu qui confondait allègrement
intérêts privés et nationaux, on se paye la tête des chefaillons et du Parti,
tout en se méfiant en permanence de l’omniprésente Securitat, la police
politique.
L’impression retenue est celle d’un pays à la dérive, ravagé
par un communisme totalitaire et encore bien loin de trouver sa place dans une
Europe capitaliste et hyper moderne. La fin d’un monde et un saut dans l’inconnu
servi par un style caustique et une écriture rapide et décapante. Sympathique
sans être indispensable.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 229 pages