Longtemps, Nicole Caligaris a laissé sommeillé ce livre en
elle. Ce n’est que plus de trente ans après les faits, une fois le temps ayant
marqué sa distance qu’elle prit sa plume et tenta de dire à sa manière, sophistiquée,
intellectuelle, bourrée de références et de citations ce qu’au fond elle ne
parvient pas véritablement à justifier.
Juin 1981 : Nicole Caligaris participe à un séminaire à
la Sorbonne sur le surréalisme. Parmi les étudiants avec lesquels elle partage
des dîners insouciants sur les terrasses de Saint-Germain-des-Prés, se trouve
Issei Sagawa, âgé de trente-deux ans. Un jeune homme discret, effacé, parlant
maladroitement encore le français malgré quatre années passées à Paris, ayant
publié de courts textes de qualité mettant en lumière le rôle de la littérature
et de la culture occidentale sur la littérature japonaise du vingtième siècle.
Un jeune homme fasciné aussi, surtout, par sa camarade de séminaire Renée
Hartevelt, hollandaise, dont il ne cesse de dessiner le profil pendant les
cours.
Le 11 Juin, il l’invitera chez lui sous le prétexte qu’elle lui
lise un texte en Allemand, une langue qu’il a apprise mais qu’il n’arrive pas à
prononcer correctement. Là, il la tuera d’une balle dans la nuque, la dépècera
et la démembrera en partie, consommera sa chair crue ou après l’avoir cuisinée
et prendra trente-deux photos de toutes les étapes de ce rituel macabre et
indicible.
Une fois arrêté puis incarcéré, Nicole Caligaris
correspondra avec lui au cours de huit lettres dont les fac-similés de Sagawa
sont reproduits en fin de ce livre. Une correspondance que l’auteur ne
s’explique pas, trente ans plus tard.
Il ne conviendra pas de chercher ici du sensationnel ou de
quelconques révélations exclusives sur ce fait-divers atroce. Le propos de
l’auteur est au contraire de tenter de comprendre la signification de cet acte
dont elle nous donne à voir qu’il est devenu le point de départ de la vie de
Sagawa déclaré irresponsable, interné un temps en hôpital psychiatrique avant
d’être transféré au Japon et libéré. Depuis, il vit de shows télévisés, de
films et de livres dans lesquels il ne cesse de remettre en scène un acte conçu
d’emblée pour être scénarisé, relayé par les medias en tous genres.
De là, N. Caligaris laisse courir une plume vagabonde qui
dit aussi la violence faite aux femmes à cause de ce triangle en forme de paradis entre les jambes, de sa révolte
contre la condition de femme à épouser, cercle vicieux dont elle a voulu à tout
pris échapper se lançant à corps perdu dans la littérature. Une vie littéraire
qui commencera précisément au moment de ce meurtre. Les références
philosophiques, artistiques et littéraires abondent dans ce livre à la fois
touffu et un peu déstructuré. Un ouvrage qui déroutera plus d’un et qui semble
destiné avant tout à pardonner son innocence et sa naïveté à une femme qu’elle
n’est plus. Un livre exigeant, souvent difficile, plus destiné à une élite intellectuelle
qu’au commun des lecteurs.
Publié aux Editions Verticales – 2013 – 171 pages