Comme dans « Les vivants » (voir la note de
lecture sur Cetalir), le roman s’ouvre sur un drame qui survient brutalement,
presque par inadvertance dans un monde trompeusement silencieux. C’est avec une
indifférence qui choque qu’une épouse va comprendre, sans prendre la peine de
le vérifier sur le champ, que son mari s’est défénestré en voulant aller
récupérer un ballon égaré dans la gouttière de leur maison.
Avec une précision quasi chirurgicale et beaucoup de pudeur,
comme à son habitude, l’auteur va nous donner à comprendre l’absence de
réaction de cette femme à ce qui nous paraît un drame absolu, définitif.
Onze ans ont passé. Onze années de mariage qui s’est délité
parce que l’épouse n’a jamais pu donner vie à un enfant qu’elle désirait
obscurément. Parce qu’elle a subi une terrible fausse couche qui l’a laissée
ensanglantée et presque mourante, elle n’a cessé d’arborer une provocante robe
rouge en réaction à la grossesse imprévue d’une sœur aînée fantasque et
impudique.
Onze années où s’est installé le silence, la forclusion,
l’isolement de la femme sans activité professionnelle, entièrement tournée vers
elle-même et le ressassement de ses échecs. Onze années où elle a trompé des
amitiés renouées, en manigançant de grinçants complots lorsque les couples
côtoyés ailleurs se déchirent. Onze années où le mari, rédacteur professionnel,
s’est heurté à l’incompréhension et s’est peu à peu réfugié dans le silence
pour ne plus avoir à supporter des reproches plus ou moins explicites et taire
la fin d’un amour qui fut sincère, intense mais furieusement bref.
Onze années de sape, où tout espoir s’écroule, où le pardon
devient impossible face à l’accumulation de fautes et de provocations.
La disparition tragique de l’époux en devient salvatrice. A
grands coups de projecteur dans le passé, sans aucune concession, avec une
économie de mots qui n’en rend le dessin que plus douloureux, P. Kramer nous
entraîne dans le sombrement définitif de deux êtres que seuls d’épars souvenirs
et une intense douleur continuent de rattacher.
Il en résulte un roman à la violence maîtrisée, profondément
triste, quasi dépressif et profondément touchant.
Publié aux Editions Calman-Lévy – 160 pages