Jim Harrisson est l’un des très grands auteurs américains
contemporains dont nous n’avions pas encore eu l’occasion de publier des
analyses malgré la richesse et la
qualité de sa production littéraire depuis
une trentaine d’années.
A l’image de Russel Banks, J. Harrisson est un rural, un
homme proche de la nature. Né d’une mère suédoise et d’un père spécialiste des
questions de fertilité des sols, il passa son enfance dans la campagne et
décidé très tôt, à l’adolescence, de devenir
écrivain pour les avantages et la
liberté que cette vie offrait.
Après avoir exercé pendant un an comme assistant en Anglais
dans une université new-yorkaise, il fait le choix de retourner dans une ferme
du Michigan pour s’y occuper de sa famille et se consacrer entièrement à
l’écriture. « Faux Soleil » fut publié en 1984 et n’est sans doute ni
le meilleur ni le plus représentatif de ses livres.
Il n’en constitue pas moins
un ouvrage assez remarquable par sa structure et le style si personnel de
l’auteur. Toujours est-il que, pour notre part, une fois commencé nous n’avons
quasiment pas lâché le roman avant d’en avoir tourné la dernière page.
L’auteur use d’un procédé littéraire classique. Il laisse
accroire, dans son prologue auquel il donne un caractère de forte vraisemblance
en mêlant références à sa propre vie et pure fiction, qu’il est le personnage
qui va tenir la plume et que ce qu’il va relater lui est arrivé,
personnellement. C’est tellement bien fait que, malgré la ficelle largement
usée, on y croit !
C’est donc en journaliste (ce que Harrisson fut tout au long
de sa carrière, aussi) que l’auteur se dissimule. Un journaliste usé par la
vie, en surpoids, frappé de goutte, abusant de tout, la bonne chère, l’alcool
et les femmes. Un journaliste aussi auteur de romans et que, par hasard, un
riche magnat rencontré dans un vestiaire d’un club privé de Palm Beach met au
défit de rédiger un livre sur un vrai personnage. Piqué au vif, notre homme va
accepter et se trouver embarqué dans une aventure étrange et pittoresque.
Après un épuisant trajet au volant d’un 4x4 aménagé pour sa
goutte, le voici transporté dans un chalet perdu en pleine nature dans le Nord
du Michigan, lieu de quasi désolation, sans charme particulier et réservé aux
fous de chasse et de pêche (cf, une fois de plus Russel Banks). Il y est envoyé
pour interviewer Strang, le gendre du magnat. Strang est un être étrange qui a
passé sa vie à construire des barrages aux quatre coins de la terre. Frappé d’épilepsie,
il fut l’objet d’un gravissime accident sur son dernier chantier qui le laissa
les jambes tenues par des broches, aux bons soins d’une bombe costaricaine,
perdus tous deux dans un chalet supposé interdit à toute visite. Une bombe qui
veille à le faire ramper pendant des heures sur les conseils de médecins
visiblement dépassés par les évènements.
Commence alors une longue interview qui s’étalera sur trois
mois où nous ferons connaissance intime avec Strang. Chaque chapitre, ou
presque, est structuré en trois plans. Une première partie en général consacrée
à relater la vie quotidienne ou les récents développements du journaliste dont
la propre vie se trouvera fortement influencée par ce qu’il découvre sur Strang
et la capacité de ce dernier à pousser les autres à s’interroger différemment
sur eux-mêmes. Une deuxième partie qui, le plus souvent, est une bande son
destinée au journaliste pour lui permettre d’organiser ses idées mais qui
recueille aussi ses délires d’alcoolique. Une troisième partie constituée à
proprement parler du récit de la vie d’aventures et d’hommes à femmes de
Strang.
Des femmes qui jouent précisément un rôle clé dans cette
galerie de personnages plus exubérants les uns que les autres. Des femmes qui
vont également débouler les unes après les autres, voire ensemble, en tant
qu’ex épouses de Strang et tenter de mettre un terme à ces interviews sous des
prétextes divers.
Grâce à un style plein d’auto-dérision, souvent comique bien
que d’une assez grande simplicité toutefois relevée de traits saillants qui
font mouche, nous allons côtoyer l’Amérique cachée. Celle des ruraux, celles
des prêcheurs et bonimenteurs, celle des aventuriers en tous poils et dont
Strang constitue une forme de synthèse cependant désintéressée et généreuse. Il
y a un peu du meilleur Woody Allen dans cette chronique sans concession où le
sexe et l’alcool, qui permet bien des libérations, tiennent une place
prépondérante et donnent lieu à des scènes hautes en couleur.
Un vrai bonheur littéraire.
Publié aux Editions 1018 – 295 pages