Alice Zetner, Normalienne, 26 ans, en est déjà à son
troisième roman. Ici, c’est un pays qu’elle connaît bien dont elle nous conte
un morceau d’Histoire, la Hongrie où elle a enseigné le Français et travaillé à
la mise en scène de divers spectacles.
Les Mandry semblent voués à une vie de malheurs et de misère
et sont les jouets permanents d’un monde qui tourne plus vite qu’ils ne sont
capables de s’y adapter. Ils habitent une pauvre masure en bordure de voie
ferrée dans laquelle vivent trois générations, toutes endeuillées.
Le grand-père plonge de plus en plus dans le gâtisme,
ratissant inlassablement les ordures jetées nuitamment par les hordes de
voyageurs en train depuis que la Hongrie est libre. Il abhorra toute sa vie
Staline et le communisme qui lui coûtèrent l’usage d’une jambe au moment de la
Révolution. Le père est emmuré dans le silence depuis que sa femme s’est
suicidée en s’étouffant avec un poireau dans son carré de jardin. La dernière
génération ne vaut guère mieux, entre une jeune femme devenue à moitié folle
depuis qu’elle a été quittée par son amant français et le plus jeune fils,
Imre, devenu par hasard gérant d’un sex shop fréquenté par les Hongrois libérés
et des hordes de touristes qui débarquent dans une Prague enfin délestée de son
rideau de fer.
En procédant par explorations successives dans le temps,
Alice Zetner nous brosse le tableau d’un pays longtemps étouffé par le
Stalinisme, toujours nationaliste, souvent réprimé jusqu’à l’effondrement total
d’un régime communiste devenu absurde. Le tableau d’une nation qui est aussi
celui d’une famille dans laquelle fourmillent les secrets et les non-dits, où
l’échec semble programmé d’avance, où les hommes sont abandonnés par les
femmes, condamnés à errer entre eux au sein d’un monde aussi étroit que les
quelques planches qui leur servent de vagues murs dans une maison sans autre
horizon que de voir les trains passer, ceux d’une vie meilleure, ceux d’un
voyage vers un ailleurs plus riant et plus prometteur sans espoir d’y monter un
jour.
Il existe une beauté et une poésie singulières dans ce livre
aussi sombre qu’un morne dimanche. Un livre qu’il faudra adopter plus qu’il ne
vous adopte spontanément et qui ne conviendra qu’à un public qu’un univers de
plomb ne rebutera pas.
Publié aux Editions Albin Michel – 2013 – 285 pages