Même si ce roman ne constitue pas un chef-d’œuvre, il
réussit néanmoins le petit tour de force de se distinguer aisément d’une masse
de publications d’un intérêt souvent bien moindre.
En cela, plusieurs raisons. La trame romanesque, tout
d’abord. Voltaire, son épouse Oum et leur fils Géo (les noms, choisis avec soin
et commentés par l’auteur sont déjà par eux-mêmes un acte délibéré visant à se
démarquer sur le fond et la forme) sont en vacances dans un petit coin de
Paradis dont recèle l’Italie. Ecrasés de chaleur, les vacances familiales
jusque là tranquilles vont se transformer rapidement en un authentique
cauchemar.
En effet, un gigantesque incendie va se déclencher, embraser
les immenses forêts qui jonchent la côte et acculer sur un petit bout de plage,
la plage de Manaccora, une horde d’autochtones et de touristes venus de toute
l’Europe. Un incendie qui va happer celles et ceux qui font le mauvais choix,
en quelques secondes, et anéantir les efforts de toute une vie. Un incendie qui
obligera chacun à aller au bout de soi, à user de stratagèmes pour survivre aux
flammes et plus encore, aux fumées toxiques qui vous enveloppent
inexorablement. Un incendie qui révèlera à chacune et chacun ce dont ils sont
vraiment capables.
Sur cette trame dantesque, l’auteur choisit d’user d’un
style volontairement décalé. Alors que l’évidence aurait été de recourir à un
ton dramatique, voire journalistique, à grands renforts de métaphores et de
phrases haletantes, P. Jaedana
opte pour une approche par l’humour et l’auto-dérision. C’est à une
sorte d’auto-confession psychanalytique à la Woody Allen que se livre Voltaire,
romancier un peu raté, tirant le diable par la queue et amoureux fou d’une
femme qui le mène un peu par le bout du nez.
Et c’est là que le roman fonctionne à fond. Grâce à cet
humour, la dimension de l’horreur, l’intensité de la chaleur qui vous brûle, la
terreur qui vous gagne en vous voyant acculé sans issue, la résignation de voir
celles et ceux qui vous entourent se livrer à une mort certaine en optant pour
les mauvaises solutions, prennent véritablement le lecteur à la gorge.
Subvient alors l’autre « truc » de l’auteur, qui
fonctionne tout aussi bien même si, pour cela, il ne cesse de recourir à la
multiplication des insertions de parenthèses qui, à la longue, finissent par
lasser. Comme la mort semble prochaine et inexorable, les tranches de vie de
Voltaire se mettent à défiler à toute allure et nous donne à voir un pauvre
type rongé par l’alcoolisme et le dépit jusqu’à sa rencontre lumineuse avec
celle qui est la femme de sa vie. Et là, il y a des purs moments de jouissance
parmi lesquels le récit hilarant et brillant de la vaine tentative d’accéder à
l’Hippopotamus de la Place de Clichy, à cinq heures du matin, barré par un
cerbère.
Les aller-retours permanents entre un passé en voie de
disparaître à jamais et un présent dont l’horizon se raccourcit à vue d’œil,
rendent l’intensité du drame qui se déroule maîtrisable et offre aussi une
habile porte de sortie à un roman dont la fin ne pouvait être que prévisible.
Bref, c’est bien fait, original, drôle et hautement
recommandable.
Publié aux Editions Grasset – 281 pages