Avec ce premier roman écrit à plus de quarante ans, Lance
Weller fait une entrée assez fracassante dans le paysage littéraire contemporain
américain. On n’oubliera pas de sitôt ce roman qui dit tout le côté sauvage des
Etats-Unis dans cette deuxième moitié du XIXème siècle. Sauvagerie de la
nature, grandiose, omniprésente et écrasante, donnant l’occasion à l’auteur de
se lancer dans des descriptions possédant un souffle réel, alimenté par
l’utilisation de termes précis de botanique et par le recours à des images
stupéfiantes. Sauvagerie de l’homme qui souvent lutte pour survivre, en proie à
la faim, à la guerre, à la maladie, à la haine ou à la jalousie dans un monde
où l’on peut mourir à tout moment et surtout de toutes les façons les plus
horribles qui soient.
Ce monde, Abel Truman le côtoie depuis bien longtemps. Il
fut, par hasard et non par conviction, enrôlé dans l’armée sudiste et fut de
pratiquement toutes les batailles. Il revint estropié à vie, couturé de toutes
parts de la terrible bataille dans la forêt de Wilderness là où s’affrontèrent
plus de deux cent mille hommes dans une boucherie qui dura trois jours sans
interruption et qui marqua la défaite programmée des armées de Lee.
Arrivé au terme de sa vie de misère et de privations, Abel
quitte sa pauvre cabane de bois flotté au bord de la côte Nord-Pacifique pour
se lancer dans un périple qui le conduit inconsciemment sur les traces de la
maison qu’il avait occupée peu de temps avec son épouse, morte depuis bien
longtemps et peu de temps après que leur fille unique ait succombé à peine née.
Simplement accompagné de son vieux chien fidèle, équipé d’un bâton et de sa
vieille Winchester, Abel va trouver sur son chemin un couple de brigands de
grand chemin, assassins, voleurs et violeurs, prêts à tout pour s’emparer de
son chien afin de le faire combattre.
Bientôt, le voyage d’Abel se trouvera contrarié. Bientôt,
les circonstances feront que la violence qui s’abat sur lui et autour de lui,
lui rappelleront toutes les violences qu’il a connues. Celles de la guerre
interminable et absurde entre armées yankee et sécessionniste, celles causées
par la folie de son épouse après la mort de leur fille. Celles aussi d’une vie
faite avant tout de souffrances et de peines, de très peu et très rares moments
de joie.
Dans une alternance de chapitres, Lance Weller nous conte
avec un souffle épique des images de bataille d’un réalisme absolu, rappelant
les meilleurs maîtres du genre tandis que le dernier voyage d’Abel se déroule
selon des étapes qui n’auront rien à voir avec un parcours de tranquillité.
Pourtant, au sein de cette mort qui rôde sans cesse, dans
ces paysages dont l’immensité et la dureté vous engloutissent, malgré
l’irrationalité qui envoie des hommes se fracasser sur d’autres, se trouvent
des êtres de bonté et de générosité. C’est sans doute ce qui fait les âmes
humaines, ce qui distinguent ces personnages rudes comme le climat qu’ils
doivent affronter, rêches comme la vie qu’ils mènent, à la fin différents de
simples animaux un peu évolués.
On ressort forcément sonné de ce livre malgré quelques
longueurs parfois et un début un tout petit peu laborieux. Mais Lance Weller
possède un talent certain dont on espère qu’il appellera d’autres romans à
venir.
Publié aux Editions Gallmeister – 2013 – 335 pages