Pour ceux qui s’intéressent aux polars nordiques, Arnaldur
Indridason est un auteur qui compte. Né en 1961, diplômé d’histoire, il fut
longtemps journaliste et critique de cinéma avant de se consacrer entièrement à
l’écriture depuis qu’il connaît un succès international. Au centre de son œuvre
se trouve un commissaire taciturne, Erlendur, dont on sait qu’il ne s’est
jamais vraiment remis de la disparition de son petit frère lorsqu’ils étaient
tous deux encore enfants. C’est à cette obsession, à cette question essentielle
qui hante chacun des romans précédents de l’auteur qu’« Etranges rivages » va tenter de répondre.
Erlendur est en vacances. Il a quitté la capitale dans
laquelle il a émigré avec ses parents depuis la mort de son frère pour venir
passer ses congés dans sa région natale, couchant à la belle étoile dans les
ruines de la ferme parentale, exposé aux premiers grands froids de l’automne
islandais.
Par hasard, parce qu’il rencontre un chasseur solitaire de
renard et qu’au détour d’une conversation réduite à l’essentiel sa curiosité
sera piquée, il va tenter de comprendre comment, une même nuit, un double
événement put survenir. D’un côté, une troupe de soldats anglais partie
imprudemment en promenade pour
tuer le temps se trouva bloquée dans une terrible tempête. Quelques uns
périrent, la plupart furent sauvés par la mobilisation de la population locale.
Le même jour, une femme disparut elle aussi sans que jamais son corps ne fût
retrouvé ni sa disparition expliquée. On la considéra morte par défaut.
Une bien étrange disparition qui ne peut faire qu’écho à
celle de ce petit frère disparu lui aussi corps et bien dans une tempête de
neige alors qu’il avait été entrainé par Erlendur dans une quête avec son père
à la recherche des brebis non redescendues d’elles-mêmes dans la plaine.
Au fur et à mesure qu’Erlendur interroge le peu de
survivants des évènements qui se sont déroulés des décennies plus tôt, il se
forge la conviction qu’il existe une explication coupable et criminelle à la
disparition de cette femme. Car Erlendur est obsédé par l’impossibilité de
faire le deuil en l’absence de corps , lui qui n’a jamais véritablement fait le
deuil de ce petit frère. Et ce corps, il est déterminé à le retrouver, coûte
que coûte.
Entre l’avancée d’une quête de curiosité qui bientôt se
transforme en enquête, Indridason insert quelques courts chapitres presque
fantastiques où Erlendur est plongé en plein cauchemar, revivant sans cesse ces
moments fatidiques où il lâcha la main glacée de son petit frère pour ne plus
jamais le retrouver, engloutis dans un déchainement neigeux comme l’Islande,
monde hanté par les disparitions en mer comme sur terre, en connaît.
Cette obsession du corps indispensable au travail de deuil
comme à celui de preuve poussera Erlendur aux confins de la folie, l’amenant à
violer les tombes pour mettre à jour les effroyables secrets profondément
enfouis.
Au bout de cette enquête personnelle, non officielle se
trouvera alors peut-être une réponse aux questions que se pose incessamment
Erlendur, une façon d’évacuer enfin une culpabilité infantile et de rejoindre
tardivement le monde des adultes armés pour vivre ensemble.
Il existe une poétique morbide, quasi mystique par moments
dans ce livre qui nous permet de mieux comprendre la personnalité d’Erlendur.
Pas tout à fait un polar au sens strict du terme, ce livre est avant tout une
descente dans l’intimité et la psychologie, dans la façon dont chacun s’accommode
pour vivre avec une faute jamais véritablement et définitivement assumée. Un
très beau livre pour entrer dans l’univers de ce maître qu’est Arnaldur
Indridason.
Publié aux éditions Métailié Noir – 2013 – 300 pages