« La course au mouton sauvage » fut le premier
roman de Murakami publié en France, en 1990. Il vient faire l’objet d’une
réédition opportune, en 2009, chez le même éditeur, Seuil.
« La course au mouton sauvage » est le roman
parfait pour appréhender le paysage mental de cet auteur attachant qu’est
Haruli Murakami. Un paysage fait d’un subtile mélange de dérision, de fables,
d’imagination débridée, de poésie nostalgique et qui met aux prises des
personnages le plus souvent déracinés, à la croisée des chemins et dont la vie
peut basculer à tout moment. Un paysage où l’amour physique, le désir sexuel
houent une place prépondérante (voir « Le passage de la nuit »), où
le surnaturel est un élément constant et déterminant du récit (la perception
des conversations téléphoniques dans « le passage de la nuit »,
l’éléphant qui disparaît sans laisser de traces dans le superbe recueil de
nouvelles « l’éléphant s’évapore » et , ici, l’homme-mouton qui
abrite en son sein un mouton non référencé, porteur d’une étoile blanche et
doté du pouvoir de rendre immortel celui qui l’abrite).
« La course au mouton sauvage » constitue une
fable magnifique sur le sacrifice de soi, le renoncement à ce qui nous est
cher, l’inaltérabilité de l’amitié qui deviennent ici autant de points de
passage obligés pour passer un cap et basculer définitivement dans le monde des
adultes et assumer des responsabilités souvent trop lourdes pour les plus
fragiles d’entre nous. C’est aussi, et surtout, un roman qui vous happe tant le
talent de Murakami est grand pour créer immédiatement ce climat unique dont il
est impossible de s’échapper. Le
côté féérique, inattendu, étrange et étonnant fonctionne à merveille et garde
sans cesse le lecteur en alerte d’autant que les voies empruntées sont toujours
inattendues et nous poussent toujours plus loin dans l’inconnu voulu par
l’auteur.
Quelques mots sur l’intrigue. Un jeune homme, bientôt
trentenaire, est à la tête d’une boîte de publicité qui fonctionne bien. Il
vient de divorcer et de tomber amoureux d’une jeune femme beaucoup plus jeune
parce qu’elle possède des oreilles extraordinaires, superbes et qu’elle ne
dévoile qu’à ceux qui ont le pouvoir de la séduire. Des oreilles qui la renseignent
aussi lorsqu’elle est perdue et ne sait plus quoi faire. Des oreilles
fascinantes et surnaturelles, qui la subliment.
Cette nouvelle vie de couple va se trouver remise en cause
parce que le jeune homme reçoit une convocation du secrétaire du Maître, chef
mafieux de Tokyo, ponte d’extrême-droite, suite à la publication d’une
photographie de paysage avec des moutons, utilisée comme support publicitaire à
la demande express d’un ami du jeune homme, disparu sans laisser de trace, le
Rat. Sous la menace de voir sa vie et son travail détruits, notre couple est
sommé de partir à la recherche de ce paysage et d’un mouton étrange, porteur
d’une étoile, qui s’est glissé dans la photographie. Commence alors un long et
pénible périple vers les régions désertiques, inhospitalières et froides
d’Hokkaïdo pour tenter de retrouver le paysage et le mouton tout en ignorant
les enjeux de cette quête.
Plus celle-ci avancera, plus le dépouillement physique,
psychologique et affectif deviendra grand. Ce n’est qu’une fois débarrassé de
tout, ramené quasiment à l’état d’un esprit fébrile que la vérité sera révélée
au prix de remise en cause totale d’une existence arrivée dans l’impasse.
Nous ne saurions que trop vous recommander ce magnifique
roman qui s’impose comme l’une des œuvres majeures de la littérature japonaise
contemporaine.
Publié aux Editions Seuil – 1990 puis 2009 – 319 pages