Il suffit parfois d’un livre pour mettre le feu aux poudres
et c’est ce qu’a compris l’écrivain et critique littéraire Pierre Jourde à ses
dépens. Lors de la parution de son roman « Pays perdu », il évoquait
dans le détail la difficulté de vivre dans le pauvre village auvergnat isolé de
tout dont il est natif, son ancrage dans la terre et les traditions. Derrière
son irrépressible amour pour ce pays natal, son respect pour les traditions
ancestrales et pour celles et ceux qui savent encore résister et s’accrocher au
monde rural se cachaient aussi une dénonciation factuelle de l’alcoolisme comme
un mal endémique et, surtout, la mise au grand jour des petits secrets de
famille, ceux que tout le village, toute la vallée connaissent mais que l’on
tient cachés aux membres des familles concernées.
Du coup, la rupture fut définitivement consommée entre des
villageois qui se sentirent trahis, moqués, agressés et celui qui n’était au
fond qu’un Parisien se rendant sur ses terres ancestrales le temps des
vacances.
Pierre Jourde, en hommes de lettres, crut naïvement pouvoir
lever le qui pro quo en adressant des lettres détaillées et longues à chacun
d’entre eux. C’était persister dans
l’erreur car on ne dialogue pas avec des gens au mieux habitués à la lecture de
la pauvre presse locale en les inondant de textes élaborés. C’est sur le
terrain que l’on s’explique, en haussant la voix et le col, en partageant les
canons le temps de trouver une paix des braves.
C’est donc avec la plus grande imprudence que l’auteur se
rendit le temps de ses vacances d’été dans sa ferme, pensant que ses missives
auraient apaisé les esprits. Il n’en fut rien et son arrivée se transforma bien
vite en une agression caractérisée d’une majorité de villageois et de
teigneuses mégères qui en vinrent aux mains, n’hésitant pas à caillasser
personnes et biens, blessant un bébé, marquant psychologiquement de façon
durable toute une famille, proférant des mots définitifs, racistes et disant
tout haut ce que tout le monde susurrait tout bas depuis des années : le
rejet de celui qui pourtant leur louait terres et maisons parce qu’il avait
réussi, parce qu’il était différent, de la ville, célèbre, socialement intégré
et aisé. Il s’en suivit deux ans d’affaires judiciares et policières et des
condamnations sévères.
Avec pudeur et honnêteté, en confessant ses erreurs mais
sans jamais vraiment pardonner à ses agresseurs les blessures infligées à sa
famille, Pierre Jourde déroule le fil de cet enfer, de ce malentendu
insondable, révélateur des oppositions éternelles entre ceux de la ville et
ceux de la campagne. Il y règle aussi ses comptes avec la presse qui aura
surmédiatisé l’affaire, surexposé des faits mineurs, recherchant plus le
sensationnel que le réel, s’intéressant au spectaculaire au détriment du fonds.
Au total, il en reste un livre intéressant pour comprendre
comment un drame collectif se met en place, pour illustrer l’éternelle
stupidité humaine quand la réflexion est superficielle, quand on prête de
l’attention aux rumeurs et pas aux faits, quand on se contente d’adhérer à ce
qui est raconté sans prendre la peine de s’informer par soi-même. Bref, ces
incessantes manipulations collectives dont nous sommes tous les jours les
victimes consentantes ou non, abreuvées d’informations parcellaires qui tournent
en boucle, de réflexions à peine exprimées devenant des postures définitives
sur les réseaux sociaux etc…
On comprendra toutefois que les villageois du fin fond de
l’Auvergne n’aient pas, dans leur majorité, été capables de saisir la subtile
pensée, certes maladroite, de Jourde. Son style parfois alambiqué, son écriture
savante et poétique, devenant lyrique quand il s’agit de décrire sa région de
prédilection, n’est pas à la portée de tout le monde et rend la lecture
difficile, à tout le moins non fluide.
Un intéressant essai sur la responsabilité qu’implique
l’écriture sans être un livre totalement indispensable, sauf à son auteur qui
en avait besoin comme une catharsis.
Publié aux Editions Gallimard – 2013 – 191 pages