4.4.14

La première pierre – Pierre Jourde


Il suffit parfois d’un livre pour mettre le feu aux poudres et c’est ce qu’a compris l’écrivain et critique littéraire Pierre Jourde à ses dépens. Lors de la parution de son roman « Pays perdu », il évoquait dans le détail la difficulté de vivre dans le pauvre village auvergnat isolé de tout dont il est natif, son ancrage dans la terre et les traditions. Derrière son irrépressible amour pour ce pays natal, son respect pour les traditions ancestrales et pour celles et ceux qui savent encore résister et s’accrocher au monde rural se cachaient aussi une dénonciation factuelle de l’alcoolisme comme un mal endémique et, surtout, la mise au grand jour des petits secrets de famille, ceux que tout le village, toute la vallée connaissent mais que l’on tient cachés aux membres des familles concernées.

Du coup, la rupture fut définitivement consommée entre des villageois qui se sentirent trahis, moqués, agressés et celui qui n’était au fond qu’un Parisien se rendant sur ses terres ancestrales le temps des vacances.

Pierre Jourde, en hommes de lettres, crut naïvement pouvoir lever le qui pro quo en adressant des lettres détaillées et longues à chacun d’entre eux.  C’était persister dans l’erreur car on ne dialogue pas avec des gens au mieux habitués à la lecture de la pauvre presse locale en les inondant de textes élaborés. C’est sur le terrain que l’on s’explique, en haussant la voix et le col, en partageant les canons le temps de trouver une paix des braves.

C’est donc avec la plus grande imprudence que l’auteur se rendit le temps de ses vacances d’été dans sa ferme, pensant que ses missives auraient apaisé les esprits. Il n’en fut rien et son arrivée se transforma bien vite en une agression caractérisée d’une majorité de villageois et de teigneuses mégères qui en vinrent aux mains, n’hésitant pas à caillasser personnes et biens, blessant un bébé, marquant psychologiquement de façon durable toute une famille, proférant des mots définitifs, racistes et disant tout haut ce que tout le monde susurrait tout bas depuis des années : le rejet de celui qui pourtant leur louait terres et maisons parce qu’il avait réussi, parce qu’il était différent, de la ville, célèbre, socialement intégré et aisé. Il s’en suivit deux ans d’affaires judiciares et policières et des condamnations sévères.

Avec pudeur et honnêteté, en confessant ses erreurs mais sans jamais vraiment pardonner à ses agresseurs les blessures infligées à sa famille, Pierre Jourde déroule le fil de cet enfer, de ce malentendu insondable, révélateur des oppositions éternelles entre ceux de la ville et ceux de la campagne. Il y règle aussi ses comptes avec la presse qui aura surmédiatisé l’affaire, surexposé des faits mineurs, recherchant plus le sensationnel que le réel, s’intéressant au spectaculaire au détriment du fonds.

Au total, il en reste un livre intéressant pour comprendre comment un drame collectif se met en place, pour illustrer l’éternelle stupidité humaine quand la réflexion est superficielle, quand on prête de l’attention aux rumeurs et pas aux faits, quand on se contente d’adhérer à ce qui est raconté sans prendre la peine de s’informer par soi-même. Bref, ces incessantes manipulations collectives dont nous sommes tous les jours les victimes consentantes ou non, abreuvées d’informations parcellaires qui tournent en boucle, de réflexions à peine exprimées devenant des postures définitives sur les réseaux sociaux etc…

On comprendra toutefois que les villageois du fin fond de l’Auvergne n’aient pas, dans leur majorité, été capables de saisir la subtile pensée, certes maladroite, de Jourde. Son style parfois alambiqué, son écriture savante et poétique, devenant lyrique quand il s’agit de décrire sa région de prédilection, n’est pas à la portée de tout le monde et rend la lecture difficile, à tout le moins non fluide.
Un intéressant essai sur la responsabilité qu’implique l’écriture sans être un livre totalement indispensable, sauf à son auteur qui en avait besoin comme une catharsis.


Publié aux Editions Gallimard – 2013 – 191 pages