L’univers de la grande
femme de lettres américaine Carol Oates est fait de personnages confrontés à
une vie ou à un destin tragiques, à l’exposition détaillée de situations qui
finissent par rendre la vie tout simplement insupportable. Pour cela, il suffit
à l’auteure de regarder par la fenêtre de son bureau sis dans la maison où elle
vit et travaille depuis presque toujours. Ou de rêver, ce qui fut le point de
départ de son dernier roman, « Mudwoman », après que la figure d’une
femme couvert de boue craquelée lui fût apparue.
« Mudwoman »
est en fait le récit d’un combat perdu d’avance car visant à occulter un passé
devenu trop lourd, à gommer, consciemment ou inconsciemment des séquences de
vie aussi essentielles que traumatisantes. Jusqu’à ce que les circonstances, la
vie, la pression les fassent remonter à la surface avec toute la violence
d’obstacles trop lentement contenus et ayant accumulé une énergie cinétique
indomptable.
Ce combat, c’est celui de
Meredith Ruth Neukirchen dite « M.R., une jeune femme de quarante et un
ans, brillante, diplômée de philosophie à Harvard, oratrice de grand talent,
séduisante et pourtant célibataire car choisissant toujours mal les hommes de
sa vie comme son actuel « amant caché », un professeur d’astronomie
empêtré dans un mariage raté mais incapable d’en tirer les inéluctables
conséquences.
Pour M.R., tout en
apparence va bien. La voici nommée première femme présidente d’une prestigieuse
université de l’Ivy League. Le jour de son intronisation, elle doit prononcer
un discours très attendu dans un contexte où l’Amérique vient d’entrer en
guerre contre l’Irak. Pourtant, elle qui est si organisée, elle dont l’agenda
est si minuté, elle va décider au dernier moment de partir faire une petite virée
impromptue dans les Adirondacks. Un acte presqu’inconscient parce qu’elle veut
retrouver l’endroit où elle a vécu toute petite. Et c’est alors que nous
apprenons que MR vient en réalité des bas-fonds de la société. Née de père
inconnu, elle fut jetée dans la boue par une mère folle et sauvée
miraculeusement d’une mort certaine par étouffement par un vagabond et simple
d’esprit. Confiée à une famille d’accueil peu recommandable, elle sera adoptée
par un couple de quakers dont le geste de fraternité ne sera, comme nous le
verrons, pas dénudé d’arrière-pensées pour le moins très troublantes.
Toute sa vie, MR a lutté
contre ses origines. Toute sa vie, elle a cherché à vraiment s’apparenter à sa
famille d’adoption avant, peu à peu, de s’en détacher comme nous le
découvrirons.
Cette virée tournera à
l’épreuve et réouvrira une brèche dans cette carapace de boue superficielle et
fragile. Car derrière la force apparente de MR se cachent de nombreuses
faiblesses, des doutes immenses, des peurs et des hontes que recouvre une
certaine dureté.
Au cours d’incessants
aller-retour, nous allons tout apprendre de MR et assister à une descente
inexorable dans un puits de folie, d’auto-destruction seule échappatoire à un passé trop lourd à porter. Ce sont
d’ailleurs ces pages où cette perception de la réalité s’altère, où visions et
phobies se superposent à la réalité au point de les indifférencier qui sont les
plus magistrales et les plus troublantes.
Troublé l’on ressortira
assurément d’un roman puissant et souvent effrayant parce qu’il nous dit de la
fragilité de nos équilibres psychiques.
Publié aux Editions
Philippe Rey – 2013 – 563 pages