13.4.14

Mudwoman – Carol Oates


L’univers de la grande femme de lettres américaine Carol Oates est fait de personnages confrontés à une vie ou à un destin tragiques, à l’exposition détaillée de situations qui finissent par rendre la vie tout simplement insupportable. Pour cela, il suffit à l’auteure de regarder par la fenêtre de son bureau sis dans la maison où elle vit et travaille depuis presque toujours. Ou de rêver, ce qui fut le point de départ de son dernier roman, « Mudwoman », après que la figure d’une femme couvert de boue craquelée lui fût apparue.

« Mudwoman » est en fait le récit d’un combat perdu d’avance car visant à occulter un passé devenu trop lourd, à gommer, consciemment ou inconsciemment des séquences de vie aussi essentielles que traumatisantes. Jusqu’à ce que les circonstances, la vie, la pression les fassent remonter à la surface avec toute la violence d’obstacles trop lentement contenus et ayant accumulé une énergie cinétique indomptable.

Ce combat, c’est celui de Meredith Ruth Neukirchen dite « M.R., une jeune femme de quarante et un ans, brillante, diplômée de philosophie à Harvard, oratrice de grand talent, séduisante et pourtant célibataire car choisissant toujours mal les hommes de sa vie comme son actuel « amant caché », un professeur d’astronomie empêtré dans un mariage raté mais incapable d’en tirer les inéluctables conséquences.

Pour M.R., tout en apparence va bien. La voici nommée première femme présidente d’une prestigieuse université de l’Ivy League. Le jour de son intronisation, elle doit prononcer un discours très attendu dans un contexte où l’Amérique vient d’entrer en guerre contre l’Irak. Pourtant, elle qui est si organisée, elle dont l’agenda est si minuté, elle va décider au dernier moment de partir faire une petite virée impromptue dans les Adirondacks. Un acte presqu’inconscient parce qu’elle veut retrouver l’endroit où elle a vécu toute petite. Et c’est alors que nous apprenons que MR vient en réalité des bas-fonds de la société. Née de père inconnu, elle fut jetée dans la boue par une mère folle et sauvée miraculeusement d’une mort certaine par étouffement par un vagabond et simple d’esprit. Confiée à une famille d’accueil peu recommandable, elle sera adoptée par un couple de quakers dont le geste de fraternité ne sera, comme nous le verrons, pas dénudé d’arrière-pensées pour le moins très troublantes.

Toute sa vie, MR a lutté contre ses origines. Toute sa vie, elle a cherché à vraiment s’apparenter à sa famille d’adoption avant, peu à peu, de s’en détacher comme nous le découvrirons.

Cette virée tournera à l’épreuve et réouvrira une brèche dans cette carapace de boue superficielle et fragile. Car derrière la force apparente de MR se cachent de nombreuses faiblesses, des doutes immenses, des peurs et des hontes que recouvre une certaine dureté.

Au cours d’incessants aller-retour, nous allons tout apprendre de MR et assister à une descente inexorable dans un puits de folie, d’auto-destruction seule échappatoire  à un passé trop lourd à porter. Ce sont d’ailleurs ces pages où cette perception de la réalité s’altère, où visions et phobies se superposent à la réalité au point de les indifférencier qui sont les plus magistrales et les plus troublantes.

Troublé l’on ressortira assurément d’un roman puissant et souvent effrayant parce qu’il nous dit de la fragilité de nos équilibres psychiques.


Publié aux Editions Philippe Rey – 2013 – 563 pages