18.4.14

Triple crossing – Sebastian Rotella


Sebastian Rotella nous l’affirme dès son préambule. Ayant passé des années à enquêter comme journaliste sur les multiples trafics qui gangrènent l’Amérique Latine et voient des dizaines de milliers de Latinos et autres Chinois tenter, avec plus ou moins de succès, de franchir la frontière qui les sépare de l’eldorado américain, si son histoire est in fine fictive, elle repose néanmoins sur une utilisation de faits, de situations et de lieux qu’il a pu observer tout au long de sa vie de reporter. D’où un réalisme qui frappe dans ce premier roman qui fut d’ailleurs sélectionné par le New York Times comme candidat à la fois pour le meilleur premier roman et le meilleur thriller.

Au sein de la brigade Frontalière chargée de surveiller les tentatives des candidats migrants à entrer clandestinement aux Etats-Unis, Valentino Pescatore cueille chaque nuit son lot de malheureux. Dur à cuire, un peu rebelle, Pescatore est un jeune homme au passé un peu trouble arrivé là par bien des détours. Au contraire de certains de ses collègues et de son chef qui tirent honteusement parti de ce flot de miséreux, il sait faire preuve de respect et d’humanité. Mais, une nuit, une entorse au règlement tourne mal et lui vaudra de se retrouver enrôlé de force à la solde du FBI.

Chargé d’infiltrer le réseau le plus puissant des narcotrafiquants mexicains, le voici propulsé de l’autre côté de la frontière, pistolero à la solde des terribles patrouilles de la mort. Désormais, le moindre faux-pas lui fait risquer de basculer du côté du grand banditisme ou bien d’être sauvagement assassiné par ceux qui l’abritent s’ils le soupçonnent de la moindre infidélité.

Logé au cœur du Mal, Pescatore devient l’observateur privilégié des collusions, compromissions et grands arrangements entre  un monde politique corrompu jusqu’à la moelle, vivant des générosités mafieuses, un système policier acheté pour être aveugle et sourd et ceux qui règnent en maîtres absolus et quasi impunis : les narcotraficants. Tout cela fait froid dans le dos et tout particulièrement la vie dans les prisons mexicaines et tout spécialement celle de Tijuana où les armes font la loi, où familles, putes et maîtresses sont à demeure et au service des mafieux qui auront eu la malchance ou la maladresse de se faire coffrer malgré un système acheté pour les  protéger.

Car subsistent, ici et là, quelques hommes et femmes bien déterminés à combattre ce qui gangrène pays et continent sud-américains et avec lesquels Pescatore va devoir à la fois batailler et composer dans un système où la confiance mutuelle est loin d’être le sentiment le mieux partagé.  Cela, embarqué dans une fuite échevelée au côté du parrain mexicain de la drogue aussi instable que fou, jusqu’à la triple frontière du Brésil, du Paraguay et de l’Argentine (le triple crossing éponyme) devenue la plaque tournante de tous les trafics, de tous les dangers, de toutes les manipulations.

Sebastian Rotella réussit sur cette base solidement documentée à nous emmener dans un thriller haletant, parfois un peu complexe, peut-être un petit peu long à démarrer mais extrêmement bien construit et finalement très réussi. Seuls les plus rusés et les plus forts survivront. Car, que voulez-vous, ce monde occulte est d’une intense férocité…


Publié aux Editions Liana Levi – 439 pages