Jusqu’ici, Eric
Reinhardt avait beaucoup puisé son inspiration en composant le portait de
femmes puissantes, autoritaires dont certaines dépeignaient avec force et une
certaine outrance les dérives du capitalisme.
Pour son dernier
roman, l’auteur prend un tout nouvel angle d’attaque inspiré par la réception
et la lecture de très nombreuses lettres de lectrices et la rencontre fortuite,
dans un train, d’une passagère qui a voulu à toutes forces lui raconter sa vie,
persuadée que, seule, la retranscription romancée, pourrait l’aider à en venir
à bout. Bien que, comme Reinhardt prend bien garde de le déclarer, il n’y ait,
au bout du compte, dans « L’amour et les forêts » qu’une histoire
composée de toutes pièces à partir de l’imaginaire de l’écrivain, il n’en reste
pas moins que sans ces stimuli non sollicités, le roman n’aurait probablement
pas vu le jour.
On trouvera de
nombreux compte-rendu de la trame romanesque
sur laquelle nous ne nous attarderons pas outre mesure. Il nous paraît plus
essentiel de nous intéresser à ce qui fait de ce roman un livre envoûtant et
finalement passionnant, il faut bien l’avouer.
En premier lieu,
prenant à rebrousse-poil la tendance actuelle, Eric Reinhardt écrit avec une
langue que l’on pensait avoir sombré à jamais. Une langue riche, faite de longues
phrases très travaillées et qui souvent s’enchaînent sans aucune interruption
sur des pages d’affilée. Une langue descriptive, souvent lyrique, parfois très
crue, très romanesque aussi au point que la surcharge, parfois, guette. Mais
voilà un auteur qui sait éveiller l’intérêt par la puissance de sa prose
au-delà de ce qu’il cherche à nous dire et cela est assez rare pour être
remarqué.
Ensuite, comme il
le déclara lui-même dans des interviews, Reinhardt s’est doublement projeté
dans son roman. A la Houellebecq en se mettant lui-même en scène, en devenant
celui qui recueille les confessions pour en faire un récit sous le nom même de
l’auteur du livre que nous tenons entre les mains. Nous sommes de ce point de
vue aux bords extrêmes de l’autofiction assez en vogue en ce moment d’ailleurs.
Mais, plus fondamentalement, c’est dans son personnage féminin principal,
Bénédicte Ombredanne (dont le nom propre est tout un programme de malheurs et d’obscurité
pour peu qu’on le lise avec une voyelle accentuée à la fin), cette professeur
de lettres à la dérive, psychologiquement martyrisée par un mari abject, que
Reinhardt a trouvé à se projeter. Il cherchait depuis longtemps un personnage
capable d’incarner son double féminin et l’a visiblement trouvé ici.
En prenant un peu
de recul, on ne manque pas d’être frappé par le fait que « L’amour et les
forêts » est un roman des apparences. Détresse psychologique réelle de
Bénédicte apparemment créée par un mari apparemment
manipulateur pervers. Apparemment seulement, car bien des caractéristiques d’un
psychopathe n’existent pas ici, à commencer par leur côté irrésistiblement
séducteur. Apparence de la sincérité de Bénédicte dont nous comprenons dans la
dernière partie du livre qu’elle est pour le moins entachée par des séquences
troublantes, restées cachées à celles et ceux qui pensaient tout savoir sur
cette femme. Apparence de la violence passionnelle d’une aventure adultérine
dont on ne sait si elle fut réelle ou rêvée, sincère ou simple dérivatif à
expulser une tension devenue intolérable. Apparence d’un couple normal (assemblé
dès le départ pour de mauvaises raisons, par dépit et non par amour) pour les
tiers quand tout tourne au cauchemar une fois la porte conjugale refermée.
C’est ce jeu et
ce glissement permanent entre ce que l’on croit comprendre et ce qui reste
suggéré comme possible qui fait la puissance du roman qui oscille sans cesse
entre le poignant, l’intime, l’introspection, la confusion, le lyrisme, la
drôlerie ou le trivial.
Bien des auteurs
auraient pu s’y noyer. Malgré quelques longueurs et répétitions, Eric Reinhardt
parvient à tenir son lecteur en haleine faisant de Bénédicte une héroïne contemporaine
troublante d’un roman du XIXème fantastique de Villiers de l’Adam sur lequel
Bénédicte composa son mémoire d’agrégation.
Publié aux
Editions Gallimard – 2014 – 368 pages