Décidément, il
semble que la peinture et les tribulations associées à certaines toiles soient
devenues de puissants motifs d’inspiration romanesque ces dernières années.
Nous avons ainsi eu droit, entre autres, au formidable « Chardonneret »
de Donna Tartt, au récent et fascinant « Les Flamboyants » de Siri
Husqvedt, au « Turquetto » de Metin Arditi pour ne citer que des
réussites littéraires accomplies.
Leonardo Padura,
auteur cubain spécialisé dans le roman noir, s’empare à son tour de ce thème et
brosse autour d’une toile de Rembrandt un étrange roman qui pourra emballer
certains ou laisser d’autres lecteurs largement désabusés. La seule formulation
de cette remarque vous aura sans doute fait comprendre que je me situe
clairement dans cette deuxième catégorie malgré la puissance qui caractérise,
par certains aspects, ce roman. Précisément, on peut s’interroger si l’ambition
de ce roman n’est pas aussi ce qui le dessert le plus.
Appelant à la
rescousse son personnage fétiche, Mario Conde, cet ancien flic reconverti en
arpenteur de bibliothèques privées à la recherche d’ouvrages rares et pouvant
rapporter gros, amateur de rhums frelatés, de bonne chair, fidèle en amitié et
en amour, Leonardo Padura se lance sur les traces d’une petite toile de
Rembrandt.
Une toile arrivée
en 1939 à Cuba, embarquée comme monnaie d’échange par une famille faisant
partie de ce petit millier de juifs allemands parvenus à acheter la possibilité
de quitter l’Allemagne nazie avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement
pour eux, le paquebot se vit refuser de débarquer ses passagers, victimes d’odieux
chantages et marchandages, et obliger de retourner vers son port d’origine à
Hambourg donnant ainsi l’occasion rêvée à un régime fou d’envoyer des
malheureux que les Etats-Unis et le Canada avaient aussi refusé d’accueillir,
vers les camps de la mort. Une toile qui ressort près de soixante-dix ans plus
tard lors d’une tentative de vente bloquée par le dernier ayant-droit qui se
rend alors à Cuba pour demander à Conde de l’aider à prouver qu’il en est bien
le propriétaire légitime et lésé.
Sur cette base,
Leonardo Padura élabore une construction éminemment complexe dans un mélange
des genres qui n’arrange pas les choses. A bien lire la note introductive, on
comprend que son propos est de nous montrer que les hérétiques, titre qu’il a
choisi de donner à son ouvrage, sont tous ceux et toutes celles qui, à un
moment ou un autre, se sont rebellés contre l’ordre établi, contre des règles
qui, le plus souvent, ne servent qu’à masquer la défense d’intérêts et d’avantages
par les castes au pouvoir au détriment de tous les autres.
Mais fallait-il
pour autant concocter trois parties fort distinctes, très – trop – longues et
écrites, au moins pour les deux premières, dans un style éprouvant, manquant de
naturel et rébarbatif ? On y sent Padura à la peine avec son sujet et
comme obligé d’en faire trop, masquant la complexité du fond par celle de la
forme.
La première
partie nous emmène à Cuba entre 1939 et 2007 et donne lieu à diverses
considérations sur les errances politiques locales depuis la Révolution qui vit
les Castristes s’installer aux commandes, la narration d’un épisode historique
peu glorieux lié au refoulement du paquebot convoyant sa cargaison de juifs en
quête de terre d’asile ainsi qu’un début de réflexions sur les obscurs débats sibyllins
qui agitent incessamment les rabbins et autres experts talmudiques dont tout
non spécialiste ne connaît rien et ne se préoccupe ni de près ni de loin. D’où
l’overdose qui guette…
Sans transition,
la deuxième partie nous transporte autour de 1650 à Amsterdam dans l’atelier de
Rembrandt et s’étend à foison, de façon lancinante, sur l’intransigeance de
plus en plus marquée des docteurs de la Loi Hébraïque dans l’interprétation du
dogme et sur les dérives et les malheurs qu’une vision radicale ne vont pas
manquer d’engendrer.
La troisième nous
ramène à Cuba, en 2007, et se transforme en un roman policier autour d’une bande
d’émos, une de ces nombreuses congrégations de jeunes urbains cherchant un sens
à sa vie en posant des codes vestimentaires, sociaux, verbaux qui les démarqueront
de façon certaine de leurs pairs et parents qu’ils rejettent.
Leonardo Padura,
en auteur habile, finit par assembler toutes les pièces d’un immense puzzle et
nous nous devons de lui reconnaître un certain génie dans la qualité de la
construction littéraire et intellectuelle. C’est bien une grande cohorte d’hérrétiques
en tous genres que nous aurons vu se débattre, et nous avec, avançant
péniblement dans un roman épuisant et assommant.
Car, compiler
dans un même pavé un roman historique fort documenté, une analyse religieuse et
dogmatique faite d’innombrables ratiocinations et un roman policier
contemporain ne se traduit pas par la production d’un grand roman. Au
contraire, le lecteur est tellement découragé par d’interminables digressions
et un texte qui aurait mérité d’innombrables coupures et simplifications qu’il
manque de prendre ses jambes à son cou et de laisser en plan ce qui résulte
pourtant d’un remarquable travail de recherche et de construction. Il est à
peine compréhensible qu’il puisse avoir été sélectionné pour concourir dans Le
prix des libraires en Seine…
Publié aux
Editions Métailié – 2014 – 605 (interminables) pages