Tout commence le
25 Juillet 1137 lorsque le mariage, arrangé à des fins politiques, entre Louis VII
et Aliénor d’Aquitaine est célébré dans la cathédrale de Bordeaux. Par cette
union, le faible royaume de France, menacé de toutes parts par de puissants
Seigneurs peu désireux de se ranger sous la bannière d’un roi en qui ils voient
un rival, la puissante et riche Aquitaine ainsi que le florissant Poitou, entre
autres, viennent rejoindre la couronne de France.
Mais, dès le
départ, l’union entre les époux portait toutes les conditions d’un échec. Louis
VII devint roi malgré lui après le décès soudain de son père, Louis VI, et la
mort accidentelle de son frère aîné, Philippe de France, dont le cheval fut
renversé par un cochon dans les rues de Paris. Tiré de son monastère, il se vit
sacré roi par ordre de succession et par obligation.
C’est donc un
homme travaillé et traversé sans cesse par l’idée de Dieu, mystique, un homme
de dialogue et non d’action qui se présente devant sa future épouse. Aliénor n’a
que treize ans au moment de son mariage mais, déjà, elle possède un caractère
affirmé hérité de la lignée de ses ancêtres, politiques avisés et guerriers
redoutés qui ont su imposer leurs visées religieuses et politiques au cours de
conflits qui les ont opposés au Pape et au Roi de France.
Aliénor rêve d’actions,
de conquêtes, de mâter ceux qui osent défier le royaume. Elle a une idée très
haute des fonctions royales et n’est pas vraiment prête à s’en laisser conter. Louis
VII est sous l’emprise de l’abbé Suger et de ses conseillers, toujours en quête
de dialogue et de compromis. Mais, il est surtout tombé immédiatement amoureux
d’Aliénor dès la première rencontre alors que celle-ci n’éprouve que mépris
pour un mari qu’elle n’a pas choisi et qui la désespère. Commence une relation
perverse où Aliénor, comme l’imagine Clara Dupond-Monod, manipule sans cesse
Louis VII et entre en lutte de plus en plus ouverte avec les conseillers. Le
mariage sera dissous quinze ans plus tard sous prétexte de consanguinité avant
qu’Aliénor n’épouse, quelques mois plus tard, Henri de Plantagenêt, le futur
Roi d’Angleterre, un homme au caractère et aux ambitions à sa mesure.
C’est
exclusivement aux années de mariage
entre Louis VII et Aliénor qu’est consacré ce très beau roman de la journaliste
Clara Dupond-Monod. Il ne s’agit pas ici de donner une vision romancée de
quinze ans qui se sont soldés par la naissance de deux filles alors que le
royaume attendait un héritier mâle, par un massacre brutal de mille cinq cents
villageois, femmes et enfants compris à Vitry-le Brûlé et surtout par la
désastreuse deuxième croisade au cours de laquelle Louis VII conduit ses
troupes de massacres en échecs successifs, démontrant s’il en était encore
besoin son incapacité totale à être un chef de guerre.
C’est dans l’intimité
du regard et de l’âme de chacun des deux protagonistes que nous plonge l’auteur.
A tour de rôle, dans une langue superbe à la fois très travaillée et fluide (ce
qui montre une maîtrise absolument parfaite de l’écriture), Aliénor et Louis
nous livrent leurs pensées intimes. Tout ici est bien entendu imaginé et repose
sur notre approche psychologique contemporaine. Mais peu importe car nous y
suivons d’autant mieux les tourments d’un Louis éperdument amoureux d’une
épouse qui le méprise. Un roi qui a conscience de courir à sa perte, de
commettre des actes contre ses valeurs les plus profondes tout cela pour tenter
de conquérir son épouse de Reine. De son côté, Aliénor réfléchit à long terme,
avance ses pions, mène ses négociations dans le dos du roi et de Suger histoire
de préserver ses intérêts et ceux de sa famille. Le royaume de France en
sortira profondément affaibli et l’Angleterre durablement renforcée mais cela
donnera peut-être le prétexte à un autre roman de Mme Dupond-Monod.
En attendant,
cette construction en duo d’un couple de chanteurs qui ne lisent pas la même
partition et ne suivent pas le même chef est absolument admirable. On s’y
plonge avec délices, immédiatement et l’on suit avec passion les déchirements d’un
couple mal apparié en même temps que l’affaiblissement d’un pays mal dirigé.
Superbe !
Publié aux
Editions Grasset – 2014 – 240 pages