En nous projetant au cœur de Haarlem, aux Pays-Bas qu’on
appelait alors les Flandres, vers 1630, Olivier Bleys décide de nous conter une
histoire d’une étonnante modernité. Car derrière une écriture tout en finesse,
travaillée avec un soin du détail, des effets, du moiré dignes des peintres
hollandais de l’époque se cachent des propos qui secouent notre monde moderne
comme ils agitaient déjà ceux d’un monde tout juste sorti de la Renaissance et
pas encore entré dans la modernité. Une époque en pleine transition, faite
d’inquiétude et d’insécurité, mais, comme toute période transitoire, offrant de
multiples opportunités aux audacieux.
Comprenant qu’une chance peut s’offrir à lui, le pater
familias Cornelius Van Deruick décide de laisser ses quatre enfants, deux
garçons et deux filles, à la charge de l’aîné pour partir tenter sa chance dans
ces nouvelles colonies brésiliennes où le Royaume est en train d’établir divers
comptoirs de commerce. Déjà, donc, les prémices d’une mondialisation, la
volonté d’aller chercher toujours plus loin de nouvelles opportunités
commerciales. Ici, c’est la canne à sucre qui attire les entreprenants. Une
canne qui pousse avidement et dont les populations indigènes fournissent la
main-d’œuvre corvéable à merci et à coût presque nul.
Pour superviser (on dirait de nos jours coacher) l’aîné à
qui la morve coule encore du nez, Cornelis prend soin d’adresser une lettre de
recommandation au recteur de l’Université de la ville à qui il a autrefois
sauvé la vie lors d’une campagne militaire.
Derrière un recteur très peu préoccupé d’enseignement et de
religion se cache en réalité un trafiquant cupide doublé d’un homosexuel
répugnant qui n’hésite pas à obtenir les faveurs de jeunes gens contre de menus
services ou quelques espèces sonnantes et trébuchantes.
Mais le recteur est aussi l’un des plus gros trafiqueurs (on
dirait grossistes de nos jours) de bulbes de tulipes en un lieu et un temps où
un vent de folie semble s’être emparé de tous. De plus en plus de petites gens,
d’honnêtes commerçants bazardent tout pour investir aveuglément dans un
commerce dont ils ignorent l’essentiel. Seule compte une inextinguible
spéculation qui fait monter les prix de ces promesses de fleurs à des niveaux
de plus en plus stratosphériques.
C’est à cette double passion, l’homosexualité et la
spéculation, que le recteur va initier le jeune Van Deruick. Un jeu qui englobe
des vues sur la sœur à marier du jeunot et les biens d’une famille désargentée.
De fait, O. Bleys a l’intelligence de glisser derrière cette
saga un entrelacs d’histoires de cœur qui nous donne à voir et à comprendre que
la condition des femmes, leur liberté et leur libre arbitre étaient déjà un
débat dans un pays où l’art, l’industrie, le commerce, la religion et la
philosophie créaient une émulation intellectuelle de chaque instant.
Tout juste pourra-t-on s’interroger sur le dénouement d’un
roman assez palpitant et mené à bon train. Intrigues et manipulations en tous
genres ne cessent de faire des victimes. Aussi, la conclusion élaborée
paraît-elle bien peu probable au vu de la cruauté et de la rapacité de ceux qui
ont montré être prêts à tout pour parvenir à leurs fins… Cela mis à part, voici
un roman intelligent, diablement documenté et sacrément mené.
Publié aux Editions Gallimard – 2007 – 337 pages