18.8.15

Semper Augustus – Olivier Bleys


En nous projetant au cœur de Haarlem, aux Pays-Bas qu’on appelait alors les Flandres, vers 1630, Olivier Bleys décide de nous conter une histoire d’une étonnante modernité. Car derrière une écriture tout en finesse, travaillée avec un soin du détail, des effets, du moiré dignes des peintres hollandais de l’époque se cachent des propos qui secouent notre monde moderne comme ils agitaient déjà ceux d’un monde tout juste sorti de la Renaissance et pas encore entré dans la modernité. Une époque en pleine transition, faite d’inquiétude et d’insécurité, mais, comme toute période transitoire, offrant de multiples opportunités aux audacieux.

Comprenant qu’une chance peut s’offrir à lui, le pater familias Cornelius Van Deruick décide de laisser ses quatre enfants, deux garçons et deux filles, à la charge de l’aîné pour partir tenter sa chance dans ces nouvelles colonies brésiliennes où le Royaume est en train d’établir divers comptoirs de commerce. Déjà, donc, les prémices d’une mondialisation, la volonté d’aller chercher toujours plus loin de nouvelles opportunités commerciales. Ici, c’est la canne à sucre qui attire les entreprenants. Une canne qui pousse avidement et dont les populations indigènes fournissent la main-d’œuvre corvéable à merci et à coût presque nul.

Pour superviser (on dirait de nos jours coacher) l’aîné à qui la morve coule encore du nez, Cornelis prend soin d’adresser une lettre de recommandation au recteur de l’Université de la ville à qui il a autrefois sauvé la vie lors d’une campagne militaire.

Derrière un recteur très peu préoccupé d’enseignement et de religion se cache en réalité un trafiquant cupide doublé d’un homosexuel répugnant qui n’hésite pas à obtenir les faveurs de jeunes gens contre de menus services ou quelques espèces sonnantes et trébuchantes.

Mais le recteur est aussi l’un des plus gros trafiqueurs (on dirait grossistes de nos jours) de bulbes de tulipes en un lieu et un temps où un vent de folie semble s’être emparé de tous. De plus en plus de petites gens, d’honnêtes commerçants bazardent tout pour investir aveuglément dans un commerce dont ils ignorent l’essentiel. Seule compte une inextinguible spéculation qui fait monter les prix de ces promesses de fleurs à des niveaux de plus en plus stratosphériques.

C’est à cette double passion, l’homosexualité et la spéculation, que le recteur va initier le jeune Van Deruick. Un jeu qui englobe des vues sur la sœur à marier du jeunot et les biens d’une famille désargentée.

De fait, O. Bleys a l’intelligence de glisser derrière cette saga un entrelacs d’histoires de cœur qui nous donne à voir et à comprendre que la condition des femmes, leur liberté et leur libre arbitre étaient déjà un débat dans un pays où l’art, l’industrie, le commerce, la religion et la philosophie créaient une émulation intellectuelle de chaque instant.

Tout juste pourra-t-on s’interroger sur le dénouement d’un roman assez palpitant et mené à bon train. Intrigues et manipulations en tous genres ne cessent de faire des victimes. Aussi, la conclusion élaborée paraît-elle bien peu probable au vu de la cruauté et de la rapacité de ceux qui ont montré être prêts à tout pour parvenir à leurs fins… Cela mis à part, voici un roman intelligent, diablement documenté et sacrément mené.


Publié aux Editions Gallimard – 2007 – 337 pages