Carole Martinez
nous avait éblouis avec « Le cœur cousu » puis « Le domaine des
murmures » récompensé par un Prix Goncourt des Lycéens. Autant dire que l’attente
était importante quant à son nouveau roman, « La terre qui penche ».
Quatre ans ont
passé depuis la parution du « Domaine des murmures ». Deux siècles
plus tard, en 1361 exactement, nous y voici revenus. Le nom a subsisté mais les
fantômes et les histoires de celles et ceux qui ont précédé les nouveaux
occupants ont disparu des mémoires.
En ce quatorzième
siècle, la préoccupation principale est de trouver un moyen de repartir de l’avant
après des épidémies de peste dévastatrices qui ont décimé manants et seigneurs,
privant ces derniers d’héritiers et de main-d’œuvre qualifiée. Un siècle où la
mort rôde de toutes parts car, hors la peste, ce sont les brigands, les loups
ou les champs de bataille qui contribuent sans cesse à augmenter le nombre de
victimes et de malheurs.
C’est dans ce
siècle que vit Blanche. Enfin, qu’elle vivait plutôt car, comme nous finirons
par le comprendre, c’est une enfant morte à douze ans, devenue une âme errante
à l’insondable vieillesse qui nous conte à distance la vie et l’expérience d’une
jeune fille, celle qu’elle fut avant d’être l’une de ces victimes des
innombrables fléaux de son temps.
Blanche ne rêve
que de savoir lire et écrire. Un plaisir dont la prive un père autoritaire et
brutal au prétexte que ces activités corrompent l’esprit faible d’une femme. Un
père aux pouvoirs infinis depuis que la mère de Blanche a mystérieusement
disparu. Un père qui n’a de cesse que de tromper sa rage de la perte d’une
épouse adorée en exerçant sans relâche son droit de cuissage sur sa domesticité
sous les yeux de sa fille, sans vergogne ni retenue.
Aussi, lorsque
celui-ci emmène Blanche après l’avoir revêtue de ses plus beaux atours, elle
qui jusqu’ici n’eut droit qu’à des hardes, au Domaine des murmures, sans la
moindre explication, la jeune fille est en train de tenter de comprendre ce qu’on
attend d’elle.
Laissée sur place
au motif de devenir l’épouse du dernier fils vivant du seigneur local, elle
découvre en son promis un être chétif et fou, vivant dans un monde parallèle,
incapable de s’adapter à la férocité de la réalité et d’exercer jamais le
moindre pouvoir. Mais, elle y fera la rencontre aussi de la lecture et de l’écriture,
une rencontre douloureuse et lente comme celles engendrées par un environnement
où la rivière joue le rôle d’une fée maléfique, où les soldats sont parfois des
ogres dévoreurs de petites filles, où l’on obtient ce que l’on désire plus
souvent par la force ou la ruse que par le mérite.
Or, c’est dans
cette mixité constante d’un réel inquiétant et d’une projection mentale des
fantasmes et des peurs que Carole Martinez construit son roman. Essayer d’y
voir une histoire linéaire conduira de passer à côté d’un livre qui se laisse
difficilement aborder comme il est difficile de vivre, ou tout simplement de
survivre, dans un monde où réalité et légendes, faits et croyances se liguent
contre les faibles pour mieux les perdre. C’est aussi en traversant des
épreuves que Blanche finira par comprendre ce qu’elle est, d’où elle vient
ainsi que l’étrange, fascinante et romantique histoire qui a présidé à sa
naissance. Mais le secret est tellement lourd qu’il ne peut être porté qu’au
prix d’une mort assurée dont nous devinerons l’origine.
Au bout du
compte, ce troisième roman n’a ni la puissance, ni le charme des deux
précédents. Bien écrit, très documenté avec l’inclusion de nombreux textes en
formes de chansonnettes directement construits à partir de textes historiques
réarrangés et compilés, l’histoire peine cependant à nous captiver par trop de
circonvolutions, trop de dérivations au sein d’une poésie aux forts relents
méphitiques.
Publié aux
Editions Gallimard – 2015 – 368 pages