Mendoza tire clairement son inspiration, dans ce roman paru
en 1993 dans sa version française, du mythe de Don Juan. En mettant aux prises
une religieuse décidée à réhabiliter un vieil hospice devenu indigent avec le
grand propriétaire terrien local Don Augusto Axeilà auprès de qui elle est
venue quémander une aide financière, Mendoza va habilement créer les conditions
d’une séduction contre nature.
Don Augusto fait penser à certains de ces héros Sadiens qui
voient en la possession du corps des femmes et à l’usage que l’imagination
perverse peut en faire, un moyen de conchier l’Eglise et la Religion. Sans
toutefois la violence bestiale d’un Sade mais toujours seulement préoccupé
d’arriver à ses fins en vue de faire plier la volonté de l’autre, d’annihiler ses
croyances, de lui prouver, par les faits et non par le raisonnement, que le
chemin emprunté ne peut mener que nulle part.
Autour de ce drame qui verra la mère religieuse succomber au
séducteur impénitent comme une nouvelle démonstration d’une volonté de
possession et de négation, Mendoza imagine un roman haut en couleurs qui va
donner l’occasion à la pécheresse, en quelque sorte, de se racheter, d’assurer
sa faute et d’y trouver même la raison qui conduira le reste de sa vie et la
fera passer, malgré elle, pour une quasi
sainte, comme si le Ciel et le mérite ne pouvaient se gagner que dans l’échec
assumé, le repentir pour mieux repartir de l’avant.
Dans un style enlevé, Mendoza décrit cette Espagne des
années cinquante encore très fortement agricole, ancrée dans la tradition,
rendue insécurisée par la présence de bandes de bandits de grands-chemins à la
fois gredins et gentilshommes. En cette année qui voit la région de Bassora
noyée sous un déluge de pluie jetant les plus pauvres vers le désespoir, accentuant
le clivage entre les riches détenteurs du pouvoir et le peuple qui se relève à
peine de terribles années de guerre civile, nombreuses seront les occasions
données à la religieuse de montrer sa vaillance, son don de soi, cherchant
ainsi dans l’action un moyen d’oublier la faute cependant pleinement assumée et
vécue comme un unique moment d’illumination dans une vie jusqu’ici faite
exclusivement de renoncements.
C’est ce mélange d’actions picaresques et hautes en couleurs
et d’introspection qui fait le charme et l’intérêt de ce roman un peu à part
dans l’œuvre du grand romancier qu’est Mendoza.
Publié aux Editions du Seuil – 1993 – 163 pages