En Indonésie, il
est une île, celle de Sulawesi située à 300 km de Bornéo où vit le peuple
Toraja. Un peuple qui a pour tradition de confier à un arbre gigantesque,
imposant et résistant au temps, les jeunes enfants décédés pour y être enfouis
au cœur de ce titan végétal. Année après année, le cadavre sera absorbé, digéré
et mêlé, contribuant à engendrer la vie, se déplaçant en se transformant avec
la sève jusqu’à sa libération spirituelle une fois la cime atteinte.
Frappé par cette
pratique qu’il découvrit lors d’un séjour sur place, Philippe Claudel décida
d’en constituer le point de départ de son dernier roman. Un roman qui est en
fait plutôt une lente et belle méditation qui, elle aussi, progresse au gré du
temps, la vie n’en finissant pas de nous réserver des surprises. Une méditation
aussi et surtout sur la mort, la place qu’elle occupe dans nos vies, la façon
dont elle nous oblige à voir et vivre notre corps. Un roman sur l’amour, celui
passé, celui se finissant, celui qui nous attend et nous prend souvent par
surprise. Un roman enfin sur l’amitié, sa signification, la place essentielle
ou non qu’elle tient dans nos vies.
C’est en ayant
présent à l’esprit son ami l’éditeur Jean-Marc Roberts, décédé en 2013, que
Philippe Claudel a imaginé le personnage d’Eugène, devenu ici producteur de
cinéma. Un jouisseur, père de cinq enfants de cinq femmes différentes, amateur
de bons vins et de bonne chère. Le fidèle compagnon de route du personnage
principal qui laisse libre-cours à ses pensées. Comme Claudel, ce dernier est
un quinquagénaire qui se voit vieillir. Comme l’auteur, il est homme de cinéma
(mais aussi un peu écrivain). Comme lui, ses films ne rencontrent pas toujours
le succès attendu, sans explication. Comme son géniteur littéraire, il sera
bientôt frappé par la mort rapide, presque inattendue, de ce compagnon fidèle
de toujours en amitié emporté par un cancer.
Encore un peu
prisonnier d’une femme dont il a divorcé mais qu’il continue de voir une fois
par mois et avec qui il fait l’amour avec la régularité d’une horloge, il tente
de comprendre le sens d’une vie qui se racornit, privée de l’ami disparu,
séparé de celle qu’il aima passionnément, non justement reconnu pour son art et
prisonnier d’un corps qui se flétrit et s’empâte.
Et puis
surviendra une jeune femme dans une troublante séquence tout droit inspirée de
Fenêtre sur cour qui, peu à peu, saura le prendre par la main et lui montrer
que la vie peut encore offrir ce en quoi on n’espérait plus.
Magnifiquement
écrit, empreint de fréquentes références philosophiques mais sans la moindre
lourdeur, Philippe Claudel signe un très beau mémoire – plus qu’un roman – sur
la place que l’on accorde à la mort et aux morts dans nos vies, sur le regard
qu’on leur porte comme sur celui qu’ils nous portent pour autant qu’on les y
autorise ou que les y invite. Un roman très différent des trois précédents et
qui montre que, tout en étant rare, sa production romanesque reste surprenante
de renouvellement et excellente en qualité.
Publié aux
Editions Stock – 2016 – 216 pages