5.2.16

L’arbre du pays de Toraja – Philippe Claudel


En Indonésie, il est une île, celle de Sulawesi située à 300 km de Bornéo où vit le peuple Toraja. Un peuple qui a pour tradition de confier à un arbre gigantesque, imposant et résistant au temps, les jeunes enfants décédés pour y être enfouis au cœur de ce titan végétal. Année après année, le cadavre sera absorbé, digéré et mêlé, contribuant à engendrer la vie, se déplaçant en se transformant avec la sève jusqu’à sa libération spirituelle une fois la cime atteinte.

Frappé par cette pratique qu’il découvrit lors d’un séjour sur place, Philippe Claudel décida d’en constituer le point de départ de son dernier roman. Un roman qui est en fait plutôt une lente et belle méditation qui, elle aussi, progresse au gré du temps, la vie n’en finissant pas de nous réserver des surprises. Une méditation aussi et surtout sur la mort, la place qu’elle occupe dans nos vies, la façon dont elle nous oblige à voir et vivre notre corps. Un roman sur l’amour, celui passé, celui se finissant, celui qui nous attend et nous prend souvent par surprise. Un roman enfin sur l’amitié, sa signification, la place essentielle ou non qu’elle tient dans nos vies.

C’est en ayant présent à l’esprit son ami l’éditeur Jean-Marc Roberts, décédé en 2013, que Philippe Claudel a imaginé le personnage d’Eugène, devenu ici producteur de cinéma. Un jouisseur, père de cinq enfants de cinq femmes différentes, amateur de bons vins et de bonne chère. Le fidèle compagnon de route du personnage principal qui laisse libre-cours à ses pensées. Comme Claudel, ce dernier est un quinquagénaire qui se voit vieillir. Comme l’auteur, il est homme de cinéma (mais aussi un peu écrivain). Comme lui, ses films ne rencontrent pas toujours le succès attendu, sans explication. Comme son géniteur littéraire, il sera bientôt frappé par la mort rapide, presque inattendue, de ce compagnon fidèle de toujours en amitié emporté par un cancer.

Encore un peu prisonnier d’une femme dont il a divorcé mais qu’il continue de voir une fois par mois et avec qui il fait l’amour avec la régularité d’une horloge, il tente de comprendre le sens d’une vie qui se racornit, privée de l’ami disparu, séparé de celle qu’il aima passionnément, non justement reconnu pour son art et prisonnier d’un corps qui se flétrit et s’empâte.

Et puis surviendra une jeune femme dans une troublante séquence tout droit inspirée de Fenêtre sur cour qui, peu à peu, saura le prendre par la main et lui montrer que la vie peut encore offrir ce en quoi on n’espérait plus.

Magnifiquement écrit, empreint de fréquentes références philosophiques mais sans la moindre lourdeur, Philippe Claudel signe un très beau mémoire – plus qu’un roman – sur la place que l’on accorde à la mort et aux morts dans nos vies, sur le regard qu’on leur porte comme sur celui qu’ils nous portent pour autant qu’on les y autorise ou que les y invite. Un roman très différent des trois précédents et qui montre que, tout en étant rare, sa production romanesque reste surprenante de renouvellement et excellente en qualité.


Publié aux Editions Stock – 2016 – 216 pages