11.3.16

Celle que vous croyez – Camille Laurens


Si Pierre Choderlos de Laclos avait vécu aujourd’hui, il aurait soit pu être l’auteur du dernier roman de Camille Laurens soit, à tout le moins, l’apprécier.  En effet, combien d’infinies possibilités offrent désormais les réseaux sociaux pour favoriser, entretenir et attiser les multiples formes de liaisons dangereuses ! C’est ce que va nous démontrer avec brio et une malice confondante l’auteur de « Celle que vous croyez ».

Un titre d’ailleurs choisi avec une forme de gourmandise perverse puisqu’il est possible de le lire a minima  de deux façons radicalement différentes, à l’image de la femme, Claire, qui se cache derrière. Celle que vous croyez peut en effet s’entendre comme celle dont on croit les propos, l’identité, la totalité des informations qu’elle communique et qui en font une personne authentique et charmante. Mais il peut aussi signifier celle que l’on croit avoir face à soi, celle que l’on pense être la femme avec laquelle un début de correspondance s’établit. D’où une ambiguïté propre à favoriser tous les dangers, tous les qui pro quo, tous les retournements de situation et les pièges dans lesquels chacun va finir par tomber.

L’orchestratrice  de ce ballet névrotique est Claire. Une femme typique des adeptes des  sites de rencontre et des Facebook en mal de l’âme sœur. Divorcée, approchant la cinquantaine, mère de deux enfants, bien conservée et encore attirante, elle décide de se créer un faux profil Facebook. 

Empruntant la photo d’une nièce sexy, la voici devenue une jeune femme de vingt-quatre ans qui tente, au départ, de surveiller les frasques de son ex et de le rendre jaloux en se branchant sur l’un de ses potes.

De fil en aiguille, elle finira par harponner un mec, Chris, éternel adolescent bien que dans la quarantaine, photographe dilettante, aussi paumé que potentiellement dangereux.

L’histoire aurait pu devenir banale ou fleur bleue. Mais Camille Laurens en fait un roman aux multiples facettes, polyphonique aussi car en donnant la parole à certains des protagonistes principaux, elle nous fait toucher du doigt la complexité des rapports qui se nouent, les incessantes manipulations qui se mettent en place au fur et à mesure que chacun s’enfonce de plus en plus dans le mensonge ou que le désir de sentir un plus grand danger pour créer plus d’excitation et tester de nouvelles limites se fait de plus en plus fort. L’âge et sa valeur marchande sur le marché de la séduction et du sexe y sont au centre, illustrant avec force une forme de névrose sociale collective que notre société contemporaine contribue à fabriquer en tous lieux.

Personne ne sortira indemne de ces liaisons numériques  -et vite physiques - dangereuses. La folie guette au coin de la rue car, pouvoir créer autant d’identités de soi que l’on veut finit par faire de celui ou celle qui s’y adonne un monstre qui s’y perd lui-même et tombe dans ses propres pièges.

Une fois refermé ce livre qui avance comme un thriller, on ne sait plus qui croire de Claire, de son avatar Camille qui pourrait bien être aussi l’avatar de l’autre Camille : l’auteur. Pervers et jouissif au possible !


Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 189 pages