Si Pierre Choderlos de Laclos avait vécu aujourd’hui, il
aurait soit pu être l’auteur du dernier roman de Camille Laurens soit, à tout
le moins, l’apprécier. En effet, combien
d’infinies possibilités offrent désormais les réseaux sociaux pour favoriser,
entretenir et attiser les multiples formes de liaisons dangereuses ! C’est
ce que va nous démontrer avec brio et une malice confondante l’auteur de
« Celle que vous croyez ».
Un titre d’ailleurs choisi avec une forme de gourmandise
perverse puisqu’il est possible de le lire a minima de deux façons radicalement différentes, à
l’image de la femme, Claire, qui se cache derrière. Celle que vous croyez peut
en effet s’entendre comme celle dont on croit les propos, l’identité, la
totalité des informations qu’elle communique et qui en font une personne
authentique et charmante. Mais il peut aussi signifier celle que l’on croit
avoir face à soi, celle que l’on pense être la femme avec laquelle un début de
correspondance s’établit. D’où une ambiguïté propre à favoriser tous les dangers,
tous les qui pro quo, tous les retournements de situation et les pièges dans
lesquels chacun va finir par tomber.
L’orchestratrice de
ce ballet névrotique est Claire. Une femme typique des adeptes des sites de rencontre et des Facebook en mal de
l’âme sœur. Divorcée, approchant la cinquantaine, mère de deux enfants, bien
conservée et encore attirante, elle décide de se créer un faux profil Facebook.
Empruntant la photo d’une nièce sexy, la voici devenue une jeune femme de
vingt-quatre ans qui tente, au départ, de surveiller les frasques de son ex et
de le rendre jaloux en se branchant sur l’un de ses potes.
De fil en aiguille, elle finira par harponner un mec, Chris,
éternel adolescent bien que dans la quarantaine, photographe dilettante, aussi
paumé que potentiellement dangereux.
L’histoire aurait pu devenir banale ou fleur bleue. Mais
Camille Laurens en fait un roman aux multiples facettes, polyphonique aussi car
en donnant la parole à certains des protagonistes principaux, elle nous fait
toucher du doigt la complexité des rapports qui se nouent, les incessantes
manipulations qui se mettent en place au fur et à mesure que chacun s’enfonce
de plus en plus dans le mensonge ou que le désir de sentir un plus grand danger
pour créer plus d’excitation et tester de nouvelles limites se fait de plus en
plus fort. L’âge et sa valeur marchande sur le marché de la séduction et du
sexe y sont au centre, illustrant avec force une forme de névrose sociale
collective que notre société contemporaine contribue à fabriquer en tous lieux.
Personne ne sortira indemne de ces liaisons numériques -et vite physiques - dangereuses. La folie
guette au coin de la rue car, pouvoir créer autant d’identités de soi que l’on
veut finit par faire de celui ou celle qui s’y adonne un monstre qui s’y perd
lui-même et tombe dans ses propres pièges.
Une fois refermé ce livre qui avance comme un thriller, on
ne sait plus qui croire de Claire, de son avatar Camille qui pourrait bien être
aussi l’avatar de l’autre Camille : l’auteur. Pervers et jouissif au
possible !
Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 189 pages