10.3.16

En attendant Bojangles – Olivier Bourdeaut


Qu’est-ce-qui explique le succès de librairie de ce premier roman écrit par un homme de trente-cinq ans, Olivier Bourdeaut ?

D’abord, même si ce n’est pas l’essentiel, la couverture à la fois épurée, classe et très graphique. On y voit un couple visiblement très amoureux danser un pas de tango plein de charme et de passion. Les protagonistes, dessinés à la manière d’une BD, y sont beaux comme des dieux, habillés avec soin. Tout en eux exprime une forme d’insouciance, un don de soi, le refuge dans un monde qui est le leur, hermétique aux ennuis. Une forme de bulle (pour rester sous forme de clin d’œil dans la BD) faite d’esprit positif. Du coup, le regard est immédiatement attiré par une mise en scène qui se démarque des codes habituels et qui inspire une adhésion inconsciente.

Ensuite, le titre où les amoureux de jazz bien informés reconnaîtront la référence à l’un des tubes de Nina Simone. Bojangles y est un pauvre hère qui, ayant tout perdu, se voit contraint de danser accompagné au piano en sautant de plus en plus haut, comme un fou, quasiment jusqu’à en mourir.

Or de folie, d’amour et de mort il est essentiellement question dans ce roman qui, et c’est sans doute là la raison essentielle de son incroyable succès, est une référence explicite à l’Ecume des Jours de Boris Vian un brin mâtinée du Petit Prince de Saint-Exupéry. Nous voici transportés dans un monde où tous les codes sont brisés, où la normalité c’est d’être hors normes, où la déraison fait office de conduite et de ligne de vie.

Enfin, c’est dans une langue à la fois simple, beaucoup plus simple que celle de Vian d’ailleurs, et classique, joliment travaillée, faite pour parler au plus grand nombre que s’exprime le narrateur. Un homme désormais adulte qui nous raconte son enfance pas comme les autres. A la maison, tout est prétexte à la fête entre un père, devenu riche grâce au contrôle technique, désormais rentier et apprenti écrivain et une mère dont on comprend qu’elle est totalement folle. Voici des parents qui s’aiment à la folie, dont la seule règle est l’insouciance pourvu que la fête soit permanente. Le courrier est jeté sans être consulté, la gym matinale se fait plus en soulevant les verres de gin que les haltères, l’époux appelle sa femme d’un prénom différent chaque jour, pour toute punition, l’enfant est envoyé regarder la télévision et son compagnon de jeu est une grue de Namibie déguisée des plus improbables accoutrements. Un monde tellement déconnecté des conventions et tributaire de la folie maternelle que, forcément, un jour il finit par s’écrouler.

Tout ceci est dit avec beaucoup de poésie, peu de pages, des chapitres courts, une histoire où la drôlerie permet de masquer les drames qui se trament. Autant de raisons supplémentaires expliquant le succès de librairie. C’est charmant mais, ce ne sera jamais un grand livre pour autant.


Publié aux Editions Finitude – 2016 – 159 pages