Retenu dans la sélection finale (de haute volée cette année)
en lice pour le Prix des Libraires en Seine 2016, « Vie et mort de Sophie
Stark » mérite toute votre attention. Ce n’est que le deuxième roman d’une
journaliste et écrivaine de trente-et-un ans mais il ne risque pas de passer
inaperçu tant par son originalité que par la qualité et la densité de sa
construction.
Pour emprunter aux poncifs de la critique littéraire, on
pourra dire de ce livre qu’il est à la fois un roman choral et polyphonique. En
effet, pour tenter de comprendre celle qui fascine et déroute à la fois tous
ceux qui l’ont côtoyée et connue, Sophie Stark, Anna North imagine et convoque
une kyrielle de personnages qui, à tour de rôle, vont donner leur version de
cette femme presque insaisissable.
Sophie Stark est une réalisatrice de cinéma. Pas le genre
Hollywoodien à grand spectacle et gros budget. Plutôt tendance avant-garde,
très créatif et personnel, plus destiné à l’intelligentsia qu’au grand public.
Sophie n’a rien pour vraiment séduire : petite, maigrichonne mais musclée,
les doigts rougis, elle possède cependant un regard qui captive instantanément
et embrasse le monde d’une façon inhabituelle, comme si, dira l’un des
critiques de cinéma elle avait la capacité à voir au-dessus de nos têtes et à
360 degrés. Grande manipulatrice, insensible aux émotions, incapable de se
couler dans les conventions sociales et de respecter un minimum de bienséance,
elle parvient toujours à ses fins, au-delà même des limites usuelles comme nous
le révèlera la fin toute en surprise concoctée par la romancière.
Pour tenter de comprendre cette femme névrosée,
manipulatrice et aux tendances psychopathiques, nous allons donc écouter entre
autres les voix de son actrice fétiche et amante, Allison, du sujet de son
premier film, un étudiant star de son équipe de basket, David, de son
producteur paumé, George, de son mari, épousé à la plus grande surprise
générale, le musicien indépendant Lucas. Tous sont fragiles. Tous sont des
victimes plus ou moins consentantes de l’emprise de Sophie Stark dont la
reconnaissance ne cesse de progresser au fur et à mesure que ses films gagnent
en maturité et en notoriété. Jusqu’au dernier film qui marquera un tournant
majeur, définitif dont nous comprendrons qu’il aura été délibérément choisi,
orchestré et assumé par Sophie Stark, une femme au caractère entier,
inflexible, ingérable. Une étoile filante qui illumine et brûle tout sur son
passage car, au bout du compte, seul compte l’Art. Peu importent le prix à
payer et les conséquences sur celles et ceux qui l’auront aimée ou détestée.
Anna North élabore ici une étude psychologique des plus
abouties, effrayante de réalisme, sur la difficulté pour les surdoués limite
autistes à être au monde. Un livre fort, frappant et souvent bouleversant. Une
vraie réussite et un de mes coups de cœur de ce début 2016.
Publié aux Editions Autrement – 2015 – 384 pages