Paru en 1945, récompensé immédiatement par un le Prix de la
Critique, « Education européenne » fut le premier roman de Romain
Gary, auteur prolifique et polymorphe et qui aima à se cacher derrière de
multiples identités dont la plus célèbre fut celle d’Emile Ajar qui lui valut
un second prix Goncourt avec « La vie devant soi ».
Ecrit pendant la guerre alors que Gary était lui-même engagé
dans la Résistance auprès du Général de Gaulle ce qui lui valut d’occuper après
la Libération de nombreux postes en vue dans la diplomatie, ce roman constitue
un témoignage de l’intérieur de l’horreur de la guerre et des faits de
résistance des Partisans polonais. Sartre considérait d’ailleurs ce roman comme
le meilleur témoignage de son temps sur la résistance.
Etre un héros n’est pas en soi glorieux. En choisissant de
rejoindre les petits groupes de partisans qui hantaient les forêts polonaises
et harcelaient sans relâche les troupes allemandes en route vers le front russe
qui buttait sur Stalingrad qui ne cédait point, c’est la précarité que l’on
choisissait d’abord.
Précarité d’un habitat fait de branchages qui tapissaient
des trous creusés et dissimulés dans la terre, précarité de santé aussi bien
entendu car, lorsque les quelques sacs de patates plus ou moins extorqués aux
paysans venaient à s’épuiser c’est de racines, de glands ou de simple neige
fondue qu’il fallait se résoudre à se nourrir.
Harceler l’ennemi c’est aussi essuyer des pertes
incessantes, voire ses amis tomber, user de ruses plus ou moins propres au
risque de perdre son âme pour récolter les indispensables renseignements et
commettre ses attentats avant de se retirer au plus vite.
Il fallait alors se résoudre à laisser compagnes et filles
se faire enlever par les Allemands pour à la fois servir de femmes à soldats et
attirer les maris et les frères, les pères aussi tentés d’un impossible exploit
pour les libérer et se faire aussitôt décimer.
C’est tout cela que nous donne à voir Gary sans fard, dans
toute sa tristesse, sa décrépitude, dans cette lutte à mort en vue d’un monde
nouveau dont on se sait rien mais dont on espère qu’il bannira enfin les
guerres. Espoir ô combien vain comme on le sait…
Alors, pourquoi ce titre si intrigant, si apparemment
décalé ? L’auteur en donne à deux reprises une explication des plus
claires, au début et à la toute fin du récit, lorsque l’étudiant tombé au
combat demande au jeune Janeck, embarqué chez les Partisans dès l’âge de
quatorze ans à la suite de la perte de ses parents et devenus en quelques
années un homme minutieux et froid capable d’exploits militaires, de reprendre
le fil de son roman qui porte le titre « Education européenne ».
« En Europe on a les plus vieilles cathédrales, les
plus vieilles et les plus célèbres universités, les plus grandes librairies et
c’est là qu’on reçoit la meilleure éducation (….). Mais à la fin, tout ce que
cette fameuse éducation européenne vous apprend, c’est comment trouver le
courage et de bonnes raisons, bien valables, bien propres, pour tuer un homme
qui ne vous a rien fait et qui est assis là, sur la glace, avec ses patins, en
baissant la tête, et en attendant que ça vienne ». (page 270)
Publié en 1945 – réédition 2009 – Folio – 282 pages