Sait-on garder son émerveillement, l’âge adulte venu, face
au miracle qu’est la vie, à cette heureuse improbabilité qui fait que nous
sommes, chacun de nous, le résultat d’un hasard qui nous conduit à être
vivant ? En profite-t-on pour garder les yeux ouverts et apprendre et
penser sans cesse ? C’est à cette question essentielle pour nous éviter
d’oublier d’être intelligents et de sombrer dans une routine mortelle, que
Gaarder tente d’apporter une réponse originale.
Pour cela, celui qui fut un professeur de philosophie qui se
fit connaître par le best-seller « Le monde de Sophie », imagine un
petit conte philosophique d’une grande inventivité certes, mais dont le
contrepartie est de finir par manquer un peu de lisibilité à force de
multiplier les acrobaties.
En mettant sur la route Hans-Thomas, un petit garçon
intelligent et éveillé d’une douzaine d’années, et son père, un graisseur et
ex-marin, qui a la particularité de collectionner les jokers de tous les jeux
de carte qui croisent son chemin, l’auteur va créer les conditions d’un voyage
initiatique. Hans-Thomas et son père traversent l’Europe en voiture pour tenter
de retrouver leur mère et épouse, Anita, disparue sans explication huit ans
plus tôt et dont ils ont retrouvé la trace par hasard comme mannequin dans un
magazine grec.
En demandant leur chemin, ils vont se trouver orientés vers
un petit village suisse après qu’un mystérieux nain ait remis une loupe à
l’adolescent. A partir de là, une suite rocambolesque d’évènements va faire
strictement coïncider le voyage de nos deux compères avec le récit transcrit
sur un livre minuscule, remis au garçon par un vieux boulanger du village où le
nain les aura envoyés et dont la lecture est rendue possible par la fameuse
loupe.
Un récit qui nous transporte sur une île magique habitée par
des nains dont nous comprendrons bien vite qu’ils sont tous les représentants
vivants d’un jeu de carte destinés à composer une longue patience dont le
joker, normalement hors jeu, est la clé. Une patience qui, elle-même, ne fait
que symboliser le cycle éternel de la vie et de son renouvellement de
génération en génération.
Au fur et à mesure que les récits se déroulent en parallèle,
le père et le fils descendant vers la Grèce et l’enfant découvrant une histoire
de plus en plus étonnante, Hans-Thomas va lever un certain nombre de mystères
sur la vie de sa propre famille et dénouer le destin dont il est l’enjeu.
Impossible et inutile de tenter de résumer une histoire qui
deviendra de plus en plus complexe, voire obscure. Il suffira de retenir que
c’est en étant différent des autres, du commun, en se comportant en joker
capable de troubler le jeu pour mieux en éclaircir le résultat en fin de
compte, en refusant la fatalité et la facilité que l’on deviendra seulement un
homme capable de libre-arbitre et d’étonnements permanents.
Pour notre part, nous sommes largement restés sur notre faim.
Certes ce roman est d’une grande créativité. Mais, à force de multiplier les
parallèles, de recourir à des circonstances improbables, de frôler le monde la
magie, Jostein Gaarder prend le risque d’amoindrir l’impact de son message
destiné aux adultes mais délivré sous la forme d’un conte pour les enfants.
Mais peut-être manquons-nous de fraicheur d’esprit ?
Nous aurons, in fine, largement préféré « Dans un
miroir obscur », rédigé l’année suivante.
Publié aux Editions Points – 1996 – 413 pages