L’univers romanesque de l‘écrivain suisse Alain Claude
Sulzer est bien caractérisé et spécifique. C’est celui d’un temps suspendu (ici
celui de l’entre deux guerres mondiales) dans lequel tente de surnager des personnages
plus ou moins en perdition, toujours en proie aux doutes, en décalage entre les
apparences qu’ils donnent d’eux-mêmes et ce qu’ils sont en réalité.
Lire un roman de Sulzer fait immanquablement penser aux
trames et fresques brossées avant lui par Thomas Mann ou bien encore Stefan
Zweig parce que les personnages qui s’agitent (de façon très relative car il
s’agit de rester policé) sont éminemment représentatifs d’une Mitteleuropa
désormais balayée par la furie de l’Histoire.
Dans le dernier ouvrage de Sulzer, deux hommes se font
principalement face. D’un côté Kupfer, une star du cinéma muet allemand venu se
reposer en villégiature hivernale dans le palace du Waldhaus à Sils-Maria en
Suisse. Adulé des foules, la quarantaine venue, il est en proie aux doutes liés
à l’inquiétante montée du parti fasciste d’Hitler et de sa clique qui s’en
prennent sans vergogne à ce qui fait l’essence de ce qu’est vraiment
Kupfer : un Juif et un homosexuel. De l’autre, un anonyme, Walter,
responsable du bureau de poste de la petite ville, homosexuel discret et
effacé, admirateur transi de Kupfer.
Entre les deux se tissera une brève relation par l’entremise
involontaire de la veuve un brin excentrique d’un riche homme d‘affaires
allemand. Pour Walter, ce sera l’histoire de sa vie qui lui donnera l’allant de
se projeter tout autrement. Pour Kupfer, une aventure sans conséquence mais
dessinant une étape décisive pour la suite de sa vie marquée par une séparation
douloureuse avec son amant véritable devenu un suppôt du parti nazi et la fuite
vers une Amérique où son nom et sa carrière n’ont jamais existé.
A distance de ces brefs moments d’insouciance et de vie
luxueuse, nous suivrons la vie de ces deux hommes si différents et appelés
malgré tout à se recroiser un jour tout en feignant de s’ignorer, conventions
sociales et bienséance obligent, alors que les cœurs et les âmes chavirent pour
des raisons différentes et que nous finirons par comprendre.
Un roman comme on n’en fait plus, au charme suranné.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 2016 – 283 pages