Alain Naraud est un auteur injustement ignoré. Nous en
avions déjà beaucoup aimé « le passage du col », recommandé par
Cetalir. Il faut dire que les thèmes sélectionnés par l’auteur sont un peu
austères mais la puissance de l’imaginaire et la qualité extraordinaire de
l’écriture méritent que l’on lise avec la plus grande attention un des
meilleurs littérateurs français contemporains de mon point de vue !
« Si Dieu existe » est un livre exigeant, parfois
à la limite de l’érudition même si l’auteur a pris bien garde d’articuler les
concepts théologiques dont il sera ici question de façon lisible et romanesque,
le plus intelligiblement possible. Il n’en reste pas moins que la lecture
réclame une certaine attention, largement compensée par le plaisir que procure
la belle écriture, dans un style que n’aurait sans doute pas décrié Mme
Yourcenar qui se fit une spécialité des romans des temps anciens.
Ici, nous sommes en plein XIème siècle dans une France
catholique qui étend encore pour peu de temps son pouvoir jusqu’en Angleterre,
placée sous son contrôle. L’auteur se place dès le départ sous les traits et le
point de vue de Clermont de Chartrette, longtemps oblat avant que d’être
ordonné, homme n’ayant jamais cru en Dieu mais qui se trouva, pendant des
années, être le secrétaire particulier d’Anselme d’Aoste.
Ce dernier eut un père Seigneur aux mœurs brutales, riche
qui voulut faire d’Anselme un homme de guerre avant que de devoir céder à son
désir d’entrer au séminaire. Anselme, brillant esprit, théologien pointu,
logicien d’exception devint rapidement Supérieur de l’Abbaye du Bec, puissante
à l’époque, avant que d’être envoyé en Angleterre où il devint Archevêque de
Canterbury et finit Pape avant que d’être béatifié.
Cet homme, Clermont l’a bien connu ayant vécu à ses côtés
une dizaine d’années et ayant été celui qui recueillit puis organisa sa pensée
qui visait par un raisonnement un brin alambiqué et spécieux (du moins
apparaît-il comme tel mille ans plus tard) à démontrer de façon irréfutable
l’Existence de Dieu.
Malgré les cabales et l’acharnement des sophistes, tous
religieux par intérêt plus que par conviction et menant une vie souvent
déréglée comme il nous l’est conté en détails, personne ne parvint à prendre en
défaut le raisonnement d’Anselme ce qui lui valut prestige et ascension
fulgurante.
Or, c’est bien la dualité de la pensée éthérée exprimée dans
le secret et la réclusion physique d’un homme tout entier consacré à sa foi,
ayant tiré un trait sur une jeunesse de dépravations qui lui aurait valu la
prison de nos jours, et celle d’un monde extérieur fait de dangers qui fascine
dans ce très beau roman.
Plus la pensée s’élève, plus les luttes s’organisent, plus
la débauche se développe dans cette abbaye qui aurait besoin d’un homme à
poigne. La vie y est précaire, la survie tout aussi d’autant que les tentations
charnelles sont légion tout autour.
Clermont de Chartrette finira par perdre la confiance
d’Anselme après que les tablettes où étaient recélés les précieux écrits aient
été plusieurs dérobées et détruites et que l’inconduite de Clermont, tourmentée
par une jeune femme au corps divin mais au visage satanique, qu’il honorait
avec passion finit par devenir une gêne à l’ascension politique d’Anselme.
C’est donc tout autant un roman profondément humain sur la
passion, l’intelligence, les luttes de pouvoir que religieux qui nous est
donné. Un roman sur un des hommes majeurs du XIème siècle vu, de façon humaine
et partiale, par celui qui fut son confident avant que devenir sa
victime ; L’auteur parvient même à rendre relativement
intelligible le cheminement de la pensée de cet érudit politique d’un siècle
qui avait cru, lui aussi, en la fin du monde par la venue des armées de Satan.
Tout simplement remarquable !
Publié aux Editions Albin Michel – 2007 – 241 pages