16.2.17

Si Dieu existe – Alain Naraud


Alain Naraud est un auteur injustement ignoré. Nous en avions déjà beaucoup aimé « le passage du col », recommandé par Cetalir. Il faut dire que les thèmes sélectionnés par l’auteur sont un peu austères mais la puissance de l’imaginaire et la qualité extraordinaire de l’écriture méritent que l’on lise avec la plus grande attention un des meilleurs littérateurs français contemporains de mon point de vue !

« Si Dieu existe » est un livre exigeant, parfois à la limite de l’érudition même si l’auteur a pris bien garde d’articuler les concepts théologiques dont il sera ici question de façon lisible et romanesque, le plus intelligiblement possible. Il n’en reste pas moins que la lecture réclame une certaine attention, largement compensée par le plaisir que procure la belle écriture, dans un style que n’aurait sans doute pas décrié Mme Yourcenar qui se fit une spécialité des romans des temps anciens.

Ici, nous sommes en plein XIème siècle dans une France catholique qui étend encore pour peu de temps son pouvoir jusqu’en Angleterre, placée sous son contrôle. L’auteur se place dès le départ sous les traits et le point de vue de Clermont de Chartrette, longtemps oblat avant que d’être ordonné, homme n’ayant jamais cru en Dieu mais qui se trouva, pendant des années, être le secrétaire particulier d’Anselme d’Aoste.

Ce dernier eut un père Seigneur aux mœurs brutales, riche qui voulut faire d’Anselme un homme de guerre avant que de devoir céder à son désir d’entrer au séminaire. Anselme, brillant esprit, théologien pointu, logicien d’exception devint rapidement Supérieur de l’Abbaye du Bec, puissante à l’époque, avant que d’être envoyé en Angleterre où il devint Archevêque de Canterbury et finit Pape avant que d’être béatifié.

Cet homme, Clermont l’a bien connu ayant vécu à ses côtés une dizaine d’années et ayant été celui qui recueillit puis organisa sa pensée qui visait par un raisonnement un brin alambiqué et spécieux (du moins apparaît-il comme tel mille ans plus tard) à démontrer de façon irréfutable l’Existence de Dieu.

Malgré les cabales et l’acharnement des sophistes, tous religieux par intérêt plus que par conviction et menant une vie souvent déréglée comme il nous l’est conté en détails, personne ne parvint à prendre en défaut le raisonnement d’Anselme ce qui lui valut prestige et ascension fulgurante.

Or, c’est bien la dualité de la pensée éthérée exprimée dans le secret et la réclusion physique d’un homme tout entier consacré à sa foi, ayant tiré un trait sur une jeunesse de dépravations qui lui aurait valu la prison de nos jours, et celle d’un monde extérieur fait de dangers qui fascine dans ce très beau roman.

Plus la pensée s’élève, plus les luttes s’organisent, plus la débauche se développe dans cette abbaye qui aurait besoin d’un homme à poigne. La vie y est précaire, la survie tout aussi d’autant que les tentations charnelles sont légion tout autour.

Clermont de Chartrette finira par perdre la confiance d’Anselme après que les tablettes où étaient recélés les précieux écrits aient été plusieurs dérobées et détruites et que l’inconduite de Clermont, tourmentée par une jeune femme au corps divin mais au visage satanique, qu’il honorait avec passion finit par devenir une gêne à l’ascension politique d’Anselme.

C’est donc tout autant un roman profondément humain sur la passion, l’intelligence, les luttes de pouvoir que religieux qui nous est donné. Un roman sur un des hommes majeurs du XIème siècle vu, de façon humaine et partiale, par celui qui fut son confident avant que devenir sa victime ;  L’auteur  parvient même à rendre relativement intelligible le cheminement de la pensée de cet érudit politique d’un siècle qui avait cru, lui aussi, en la fin du monde par la venue des armées de Satan.

Tout simplement remarquable !


Publié aux Editions Albin Michel – 2007 – 241 pages