Voici un premier roman d’une jeune franco-coréenne de
vingt-trois ans absolument enthousiasmant et riche de belles promesses
littéraires à venir. Un roman d’ailleurs récompensé du Prix Robert Walser en
Suisse où a étudié et réside la jeune femme. Les termes qui me paraissent les
plus appropriés pour caractériser cette réalisation sont ceux de mise en
suspension et d’incommunicabilité.
Mise en suspension car le choix de Sokcho est tout sauf
innocent. Alors que les longues plages de cette ville côtière regorgent de
touristes l’été, la ville se referme sur elle-même le reste de l’année. En
plein hiver, elle se transforme en une sorte de cité engourdie, illuminée de
guirlandes censées créer une atmosphère de fête toute artificielle. Car Sokcho
est aussi la ville ultime, la dernière cité avant cette large bande de terre
qui sert de no man’s land entre les deux Corée ; d’où une certaine
pesanteur immanente, un climat de vague suspicion parfaitement rendus par la
jeune romancière.
Débarque dans cette ville un jeune Français. Un homme
mystérieux qui ne parle pas un mot de la langue. Il est venu s’installer dans
une petite pension de famille qui tente bon gré mal gré de survivre. Une
pension où travaille une jeune femme d’emblée fascinée par cet étranger venu
d’un pays qui lui est cher. En effet, elle est elle-même à moitié française par
son père, qu’elle n’a jamais connu celui-ci ayant abandonnée la mère et
l’enfant à naître dès que ses obligations professionnelles ne le retenaient
plus sur place.
Le visiteur est venu chercher on ne sait trop quelle
inspiration pour créer sa prochaine BD. Peu à peu, on comprend qu’il mène une
quête obsédante et muette d’un idéal féminin qui n’est autre qu’une projection
mentale de sa propre recherche infructueuse et tue. Une démarche à laquelle se
trouve associée la jeune femme dans un jeu qui tient à la fois de la séduction
et de l’incapacité à se parler, de façon simple.
Lui semble attiré par elle mais sans oser vraiment le
montrer, lançant des signaux faibles et sibyllins, restant soucieux de
maintenir une sorte de voile secret sur sa création et le sens de celle-ci.
Elle, de son côté, est fasciné par cet homme venu d’un pays dont elle parle la
langue, et tente de l’apprivoiser en l’invitant à découvrir la nourriture,
omniprésente d’un bout à l’autre comme un moyen de compenser un mal-être
permanent, qu’elle élabore vainement pour lui. Entre les deux s’interposent un
petit-ami qu’elle n’aime pas vraiment et une mère à la fois possessive et un brin
maladive.
C’est dans le silence hivernal que se déploie une relation
étrange. Un silence où la jeune femme peut écouter les pinceaux de l’artiste
dessiner des figures dont le féminin est absent et rêver de devenir celle qui
sera enfin créée et dessinée. Mais les tentatives pour se rapprocher l’un de
l’autre semblent aussi éphémères que les traces de pas dans la neige qui
concluent ce très beau premier roman plein de pudeur, de charme et de poésie.
Publié aux Editions Zoe – 2016 – 138 pages