A trente-sept ans, la Nigérienne Chimananda Ngozi Adichie
est devenue une star du monde des lettres. Elle avait d’aileurs fait une entrée
remarquée trois ans plus tôt avec un premier roman, ‘L’hibiscus pourpre’,
refusé d’abord partout avant de se retrouver sur la liste finale de l’Orange
Prize et de gagner le Prix du meilleur roman du Commonwealth !
Americanah, traduit en plus de trente langues, aura été un
immense succès de librairie. Il faut dire que tout concourt à en faire un roman
mémorable, attachant et dont les facettes multiples lui donnent une puissance
indomptable.
Les Nigérians ont un qualificatif pour parler de leurs
compatriotes partis tenter leur chance chez l’Oncle Sam : celui
d’Americanah. Ifemelu, depuis qu’elle est partie aux USA finir de brillantes
études grâce à l’octroi d’une bourse est devenue une Americanah, invention
syntaxique qui trouve tout son sens lorsque l’on comprend que la jeune femme
tient un blog à succès dans lequel elle décrit avec une langue féroce,
caustique mais toujours justement acérée la difficulté pour les afro-américains
de trouver leur véritable place dans un pays qui, au fond, ne s’est jamais
débarrassée du racisme grâce auquel la nation a fondé sa prospérité initiale et
qu’elle continue de pratiquer sous de multiples formes plus ou moins
vexatoires, plus ou moins conscientes.
C’est ce marquage inconscient collectif qui forge le
fondement d’un roman qui n’hésite pas à foisonner dans de multiples directions.
L’histoire d’amour passionnelle qu’aura vécue Ifemelu dans sa jeunesse avec
Obinze et dont nous allons suivre les péripéties des années plus tard sert
avant tout d’épine dorsale pour montrer l’immense difficulté pour un jeune
africain, homme ou femme, même brillant à trouver sa place dans une société
blanche, qu’elle soit américaine ou britannique. Elle est là aussi pour nous
rappeler le fonctionnement profondément machiste et patriarcal des sociétés
africaines prises entre le désir de se moderniser, de s’enrichir, de vivre à
l’occidentale tout en conservant des coutumes et des pratiques incompatibles
avec des sociétés démocratiques modernes.
Mais Chimananda Ngozi Adichie ne force jamais le trait ni ne
cherche à montrer du doigt directement. Elle ne fait qu’attirer notre
conscience, par petites scènes souvent cocasses, par allusions drôles, sur la
difficulté pour un Africanah à trouver sa place. Il sera toujours et avant tout
un étranger africain aux Etats-Unis et un compatriote décalé, définitivement
contaminé, s’il lui prenait le désir de revenir au pays. Un exilé permanent en
décalage, toujours à la recherche de quelque chose de perdu.
Chimananda Ngozi Adichie signe un livre magnifique,
bouleversant et intelligent que l’on pourra lire à de multiples niveaux. Une
femme de lettres majeure vient de confirmer son immense talent.
Gallimard – 2017 – 319 pages