En nous mettant sur les traces de son personnage principal,
Antoine Rault nous invite à lire son
dernier roman au moins de trois manières à la fois différentes et
complémentaires.
D’abord, c’est le plus naturellement possible que nous
suivrons l’épopée romanesque d’un personnage dont l’auteur fait le représentant
typique d’une génération sacrifiée. Celle de ces millions de jeunes gens qui
furent mobilisés, des deux côtés de la frontière, pour être envoyés à la grande
boucherie aveugle que fut la Première Guerre Mondiale.
Après un nouvel assaut, un jeune homme est retrouvé au fond
d’un trou d’obus, englué dans la boue. Vivant mais choqué, il est devenu
amnésique. On ne sait rien de lui sa plaque militaire ayant été perdue. Seuls
son caleçon et ses chaussettes permettent de conclure qu’il s’agit d’un soldat
français. Hospitalisé, et suite à une enquête minutieuse, on finira par
comprendre qu’il s’agit d’un Normalien fils d’une famille puissante, parlant
deux langues maternelles, le français et l’allemand, en plus du russe.
Parce ce que cela arrange un père qui n’a jamais voulu de ce
fils ainsi que l’armée et le pouvoir politique, on va faire du jeune Français
survivant un soldat décédé avant de lui attribuer l’identité d’un officier
allemand tué au combat, victime jamais déclarée à l’ennemi, pour en faire un
espion chargé d’infiltrer les Freikorps partis combattre les Russes rouges dans
les pays baltes.
Ce n’est cependant pas dans la trame romanesque que ce situe
l’intérêt principal d’un roman qui souffre par ailleurs d’une écriture assez
lâche et de quelques formules maladroites voire parfois ridicules.
On trouvera plus d’intérêt dans l’analyse psychologique des
personnages dont beaucoup sont la proie d’une perte de repères. Car la guerre a
tout chamboulé, détruisant les hommes, réduisant les valeurs morales en
miettes, poussant beaucoup à se radicaliser d’une manière ou d’une autre pour
tenter d’expliquer l’inacceptable. Dans ce magma, celui qui est à la fois
Charles, l’officier français déclaré mort mais bien vivant et Gustav,
l’officier allemand mort dont il a hérité l’identité, ne sait ni qui il est, ni
pourquoi et pour qui il mène les combats et les actions qui lui sont confiés.
La succession d’histoires amoureuses sordides et décevantes ne fera que tirer
vers le bas, vers toujours plus de désespoir un homme brisé, sans passé, sans
repères personnels, ballotté entre deux cultures qu’il aime et admire de deux
pays qui se déchirent.
En fait, le principal véritable intérêt de gros pavé de près
de cinq cents pages tient plus dans l’analyse historique de faits que
l’Education Nationale, grande normalisatrice de la pensée commune, passe
pudiquement sous silence. Tels les traitements infligés en pleine conscience
aux blessés de guerre souffrant de troubles psychologiques auxquels on inflige
des traitements tellement horribles qu’ils finissent par demander rapidement à
être renvoyés sur le front. Il fallait bien remplir l’objectif de 99% de retour
rapide de ceux dont on a besoin comme viande de boucherie. Tels aussi les
comportements des chefs politiques alliés, dont Clémenceau au premier chef, qui
firent tout pour humilier l’Allemagne et la pousser dans une logique de
nouvelle guerre malgré les alertes des Allemands modérés venus demander
clémence et considération, conscients du danger induit par la propagande
nationale qui avait décrété que la guerre n’avait pas été perdue militairement
mais de façon odieuse car purement politique.
Souvent un peu touffu, voire confus, souffrant d’une
écriture plus proche du roman de gare que de la grande littérature, ce livre,
malgré ses défauts évidents, se laissera lire pour l’originalité de son
histoire et l’éclairage qu’il nous apporte sur l’Histoire.
Publié aux Editions Albin Michel – 2016 – 491 pages