En Angleterre, Kate
Tempest est devenue en très peu de temps un véritable phénomène artistique.
Poétesse, slameuse, chanteuse de rap, elle occupe les scènes et truste les
places en vue dans le hit-parade. « Ecoute la ville tomber », son
premier roman qui vient d’être traduit en français s’est vendu là-bas à plus de
cent mille exemplaires en quelques semaines seulement. On la compare souvent à
Virginie Despentes dans sa version britannique.
Comme son aînée de ce
côté-ci de la Manche, Kate Tempest ne fait pas dans la dentelle. Ses phrases
claquent et ses histoires font mal. Car c’est avec un regard sans concession
qu’elle observe et rend compte d’un pays qui a fait de l’ultralibéralisme une
doctrine quel qu’en soit le coût social ou individuel.
Symbole d’une frénésie
ambiante et de toutes les outrances, Londres est cette ville que nous écoutons
tomber. Une ville où se loger demande des fortunes, où se déplacer prend un temps
fou, où la fracture sociale est majeure. Une ville qu’habitent quatre jeunes
gens et dans laquelle tous tentent, à leur façon, de survivre. L’une est
danseuse, trop vieille à vingt-cinq ans pour dégoter d’autres rôles que
secondaires dans des shows mal payés. Alors, pour survivre elle se transforme
le soir venu en masseuse sexuelle pour des hommes prêts à payer pour un
traitement sordidement spécial. Son copain zone en permanence, enchaînant
chômage et petits boulots en tous genres, sans perspectives ni lendemain,
éternellement fauché. Sa sœur Harry deal auprès des noceurs et des gros bonnets
en quête de sensations fortes ou à la recherche d’un moyen pour s’abrutir et
supporter moins mal une vie où l’on cache son mal-être au cœur de fêtes
bruyantes, alcoolisées et aux propos aussi superficiels que les relations qui
s’y nouent de manière éphémère. Pendant ce temps, Léon, son camarade d’enfance,
joue les gros bras et la protège de toute mauvaise rencontre.
Autant dire que
l’existence est précaire et que tout peut s’écrouler à n’importe quel moment.
D’autant plus que le roman s’ouvre sur une cavalcade réunissant trois de ces
compères en fuite avec une valise pleine de billets acquis au cours de
circonstances dont nous allons tout apprendre remontant le fil de l’année
venant de conduire à la séquence présente.
No future, no hope. Tels semblent être les slogans en creux de ce
roman coup de poing et qui sonne comme une critique sans concession envers un
système ayant perdu tout sens, toute retenue. Un système qui conduit à une
forme d’auto-destruction et où les contestataires d’hier, les punks, les
gothiques, les alter quelque chose auraient tous lâché prise pour se contenter,
tels Néron, de regarder Londres brûler et s’écrouler. Un livre fort.
Publié aux Editions Rivages
– 2018 – 429 pages