Les années
passant, on a tendance à oublier que la révolution de Mai 1968 ne se déroula
pas qu’à Paris. Comme nous le rappelle Yves Bichet, c’est d’ailleurs à Lyon
qu’elle prit un caractère dramatique. En effet, au cours de la nuit du 24 au 25
Mai, on déplora la mort du Commissaire René Lacroix officiellement victime d’un
camion fou lancé sur le pont Lafayette par des étudiants en révolte. Un
accident exploité par les forces de l’ordre et les médias à la solde du pouvoir
pour réprimer avec violence ceux qui, jusque-là, avaient bénéficié d’un certain
capital sympathie de la part de la majorité de la population.
Mêlant Histoire
et fiction, Yves Bichet remet en selle bien des personnages de son opus
précédent « L’Indocile ». On y retrouve Théo, désormais revenu de la
guerre d’Algérie mais jamais remis d’avoir débranché son meilleur ami et
compagnon d’armes, plongé dans un coma irrévocable. Et Mila, son amante
révoltée dont Yves Bichet fait l’une des responsables de l’accident du pont
Lafayette. Et puis Marianne, la mère de l’ami de Théo et l’ex-amante de
celui-ci avant de devenir l’une des collaboratrices proches et la maîtresse du
Maire de Lyon, Louis Pradel, surnommé « zizi-béton » pour sa
collection d’aventures et sa frénésie à bétonner sa ville.
Ce qui intéresse
l’auteur c’est de nous montrer des paumés de l’Histoire, des petits prêts à
prendre de gros risques pour se jeter dans une mêlée dont ils ne comprennent
pas vraiment les enjeux. Des hommes et des femmes en marge, incapables de
trouver leur place dans une société qu’ils rejettent. Des êtres qui, une fois
les slogans et les illusions du Printemps 68 oubliés, continueront de penser
que seules radicalisation et violence seront capables d’instaurer un ordre
nouveau.
Derrière ces
parcours voués d’avance à l’échec parce que suicidaires, c’est aussi aux petits
secrets de l’Histoire officielle qu’entend s’attaquer Yves Bichet. On y
apprendra ainsi la vérité sur la mort d’un commissaire qui n’avait d’une part
rien à faire là où il se trouvait et qui, de plus, ne succomba pas à un
accident comme le fit croire la parole officielle. On y observera aussi un
Président de la République totalement dépassé au point de s’enfuir en Allemagne
en catimini pour y chercher conseils et aide de celui qui avait maté l’Algérie,
le Général Massu. Histoire de France et histoires personnelles finissent par
s’entremêler pour former un roman enlevé, assez intéressant sans pour autant
apparaître comme indispensable.
Publié aux
Editions Mercure de France – 2018 – 263 pages