Depuis des années, le travail de Philippe Jaenada était
salué par la critique et rencontrait un succès populaire certain. Pour autant,
aucun Prix littéraire de premier plan n’était venu jusqu’ici récompenser cet
auteur au style personnel, plein d’autodérision et de tendresse envers tous ces
cassés de la vie dont il suit les routes. Une injustice enfin réparée avec
l’attribution du Prix Fémina pour le superbe « La Serpe ».
A l’instar de son précédent ouvrage « La petite
femelle » où il reprenait à son compte l’enquête autour du meurtre par
Pauline Dubuisson de son amant à coups de revolver, apportant de manière
convaincante de nouveaux éléments sur une affaire qui avait jeté beaucoup
d’émoi, l’auteur s’intéresse cette fois-ci à un triple meurtre. Une horrible
tragédie survenue en Octobre 1941 où trois corps sont retrouvés horriblement
mutilés à coups de serpe dans un château du côté de Périgueux.
Très vite, les soupçons se porteront sur le fils unique
d’une des victimes, son père. Un jeune homme du nom d’Henri Girard que sa vie,
loin des normes bourgeoises de l’époque, combinée à des signes troublants
trouvés sur les lieux du crime montre du doigt comme le meurtrier idéal. Il
sera, malgré ses dénégations, très vite arrêté et emprisonné. Alors que son
procès promettait une condamnation à mort quasi-certaine, défendu par le
meilleur avocat de France ami de son père défunt, il sera à la surprise
générale acquitté.
Devenu riche à millions, il dilapide sa fortune avant de
fuir, ruiné, en Amérique du Sud où il exerce tous les métiers offerts aux
vagabonds. Rongé par la maladie, il finira par revenir au bout de quelques
années à Paris où il prendra l’identité de Georges Arnaud. Un nom qui deviendra
bientôt célèbre après la publication de son roman « Le salaire de la
peur » adopté par Clouzot au cinéma. C’est sous cette identité qu’il
terminera sa vie, intellectuel respecté fréquentant l’intelligentsia, mettant
sa fortune nouvellement acquise au service de la défense des faibles et des
opprimés.
De ce personnage hors du commun et haut en couleurs, Jaenada
tire matière pour un volumineux ouvrage organisé en trois parties. Tout
d’abord, celle relatant la jeunesse de celui qui est encore Henri Girard. Une
section ne rendant guère sympathique un jeune homme instable, bagarreur,
rebelle et n’ayant aucune notion de la valeur de l’argent. Vient ensuite celle
liée au crime relaté en détail, à l’enquête qui s’en suit ainsi qu’au procès.
Une lecture à charge, empruntant le regard de l’époque nous convainquant
presque d’une erreur judiciaire menant à l’acquittement d’un homme qui ne le
méritait peut-être pas. Puis vient la dernière partie, celle consacrée au long
et minutieux travail d’enquête et de reconstitution auquel s’est livré
l’enquêteur Jaenada, transporté par la puissance de la pensée près de
quatre-vingts ans en arrière. Un travail de titan sur les archives numérisées,
d’interviews des descendants des principaux intéressés et de recherche sur les
lieux mêmes du crime. Avec une conclusion qui s’impose, sans le moindre
doute : Henri Girard était de toute évidence innocent et Jaenada-Colombo a
même probablement identifié le criminel.
Délaissant en partie ses interminables digressions (en tous
cas les raccourcissant fortement) mais conservant son humour et son
auto-dérision, Jaenada parvient à nous entraîner avec lui dans une enquête
improbable à distance des plus passionnantes. Au point de ne plus lâcher le
gros pavé de plus de six-cents pages. C’est dire ! Merci Monsieur Jaenada
pour cet immense plaisir de lecteur et chapeau bas !
Publié aux Éditions Julliard – 2017 – 643 pages