15.3.20

La serpe – Philippe Jaenada



Depuis des années, le travail de Philippe Jaenada était salué par la critique et rencontrait un succès populaire certain. Pour autant, aucun Prix littéraire de premier plan n’était venu jusqu’ici récompenser cet auteur au style personnel, plein d’autodérision et de tendresse envers tous ces cassés de la vie dont il suit les routes. Une injustice enfin réparée avec l’attribution du Prix Fémina pour le superbe « La Serpe ».

A l’instar de son précédent ouvrage « La petite femelle » où il reprenait à son compte l’enquête autour du meurtre par Pauline Dubuisson de son amant à coups de revolver, apportant de manière convaincante de nouveaux éléments sur une affaire qui avait jeté beaucoup d’émoi, l’auteur s’intéresse cette fois-ci à un triple meurtre. Une horrible tragédie survenue en Octobre 1941 où trois corps sont retrouvés horriblement mutilés à coups de serpe dans un château du côté de Périgueux.

Très vite, les soupçons se porteront sur le fils unique d’une des victimes, son père. Un jeune homme du nom d’Henri Girard que sa vie, loin des normes bourgeoises de l’époque, combinée à des signes troublants trouvés sur les lieux du crime montre du doigt comme le meurtrier idéal. Il sera, malgré ses dénégations, très vite arrêté et emprisonné. Alors que son procès promettait une condamnation à mort quasi-certaine, défendu par le meilleur avocat de France ami de son père défunt, il sera à la surprise générale acquitté.

Devenu riche à millions, il dilapide sa fortune avant de fuir, ruiné, en Amérique du Sud où il exerce tous les métiers offerts aux vagabonds. Rongé par la maladie, il finira par revenir au bout de quelques années à Paris où il prendra l’identité de Georges Arnaud. Un nom qui deviendra bientôt célèbre après la publication de son roman « Le salaire de la peur » adopté par Clouzot au cinéma. C’est sous cette identité qu’il terminera sa vie, intellectuel respecté fréquentant l’intelligentsia, mettant sa fortune nouvellement acquise au service de la défense des faibles et des opprimés.

De ce personnage hors du commun et haut en couleurs, Jaenada tire matière pour un volumineux ouvrage organisé en trois parties. Tout d’abord, celle relatant la jeunesse de celui qui est encore Henri Girard. Une section ne rendant guère sympathique un jeune homme instable, bagarreur, rebelle et n’ayant aucune notion de la valeur de l’argent. Vient ensuite celle liée au crime relaté en détail, à l’enquête qui s’en suit ainsi qu’au procès. Une lecture à charge, empruntant le regard de l’époque nous convainquant presque d’une erreur judiciaire menant à l’acquittement d’un homme qui ne le méritait peut-être pas. Puis vient la dernière partie, celle consacrée au long et minutieux travail d’enquête et de reconstitution auquel s’est livré l’enquêteur Jaenada, transporté par la puissance de la pensée près de quatre-vingts ans en arrière. Un travail de titan sur les archives numérisées, d’interviews des descendants des principaux intéressés et de recherche sur les lieux mêmes du crime. Avec une conclusion qui s’impose, sans le moindre doute : Henri Girard était de toute évidence innocent et Jaenada-Colombo a même probablement identifié le criminel.

Délaissant en partie ses interminables digressions (en tous cas les raccourcissant fortement) mais conservant son humour et son auto-dérision, Jaenada parvient à nous entraîner avec lui dans une enquête improbable à distance des plus passionnantes. Au point de ne plus lâcher le gros pavé de plus de six-cents pages. C’est dire ! Merci Monsieur Jaenada pour cet immense plaisir de lecteur et chapeau bas !

Publié aux Éditions Julliard – 2017 – 643 pages