C’est un bien joli roman, intelligent, cultivé et fort
brillamment construit que nous propose la grande romancière espagnole Rosa
Montero.
À soixante ans désormais, Soledad prend conscience que la
vie a passé et avec elle, la jeunesse, le charme, l’éternel pouvoir de la
séduction. Elle vient d’ailleurs d’en faire la cruelle expérience puisqu’elle,
la femme à la plastique encore attirante lui permettant de paraître vingt ans
de moins qu’elle en a grâce aux indispensables subterfuges féminins, elle la
croqueuse d’hommes de préférence mariés et plus jeunes qu’elle, s’est tout
juste faite larguer par son amant lequel a donné la préférence à son épouse
jeune et de surcroît enceinte.
Pour se venger, elle décide de faire appel à un superbe
gigolo au bras duquel elle se produira à une représentation de Tristan et
Yseult à l’Opéra de Madrid où elle sait que son ex-amant se trouvera également.
Un stratagème qui lui vaudra un regard mauvais de celui qui l’a éconduite
(modeste vengeance) ainsi que les coups d’œil appréciateurs et jaloux de ses
amies et connaissances. Une ruse qui va également réserver bien des surprises
tant la relation entre ce beau jeune homme mystérieux et celle qui est la responsable
des expositions à la Bibliothèque Nationale va prendre un tour bien différent
de ce qu’elle prévoyait au départ.
Tout l’art de Rosa Montero est d’élaborer un roman où les
véritables personnalités de ce couple improbable vont se révéler peu à peu,
laissant apparaître des êtres fort différents de l’image que l’on peut s’en
faire a priori. Tout en rendant compte avec autant de pudeur que de sincérité
des ravages progressifs de la vieillesse et des multiples recours pour en
limiter les effets, Rosa Montero n’oublie pas la profession de son personnage
Soledad. Une femme en prise avec une exposition difficile à monter et de
multiples intrigues en vue de s’en accaparer la responsabilité. Un prétexte
pour glisser de croustillantes et érudites anecdotes sur bien des auteurs
célèbres dont l’existence connut un sort tragique. On y apprend beaucoup de
choses sur Mautpassant, Twain, Stephen King et bien d’autres encore. L’auteur
poussera même la coquetterie jusqu’à se faire apparaître elle-même, sous les
traits d’une journaliste ayant publié un livre qui fait effectivement partie de
sa propre bibliographie, dans une scène originale et fort réussie. Une
connaissance des arts qui concerne également le monde lyrique puisque les
références aux opéras y sont nombreuses dans le but d’éclairer la manière dont
Soledad ressent tout ce qui lui arrive et comment les évènements altèrent
fortement sa personnalité, soulignant subtilement toute la progression
dramatique du roman.
Tout cela est brillant, parfaitement maîtrisé, intelligent
mais pas le moins du monde prétentieux. Un vrai bonheur pour le lecteur, séduit
de bout en bout !
Publié aux Éditions Métailié – 2017 – 191 pages