Graham Swift n’a pas la
reconnaissance en France qu’il mérite. Seuls trois de ses romans ont été
publiés traduits en Français, malgré les Prix littéraires et les reconnaissances
qui se sont accumulés ; malgré aussi le fait qu’il fasse partie de cette
trilogie d’écrivains exceptionnels, tous de la même génération, avec Julian
Barnes ou Ian McEwan. Il faut dire que Swift ne fait pas dans le spectaculaire.
Sa matière c’est le presque indicible, la banalité des faits quotidiens, les
aléas qui secouent nos vies souvent sans prévenir et tout qu’ils agitent alors
en nous : les souvenirs qui remontent, le cerveau qui parfois disjoncte
sous la pression, les tiraillements entre des options toutes incompatibles…
Bref, c’est l’intime et l’humain qui sont l’essence même de son écriture.
« J’aimerais
tellement que tu sois là » en est l’archétype. Swift plante très vite le
décor. Un homme, Jack Luxton, est assis, posté devant sa fenêtre dans sa
chambre. Il observe, pense, un fusil à la main. De cette photographie presque
instantanée, potentiellement trompeuse, Graham Swift tire un roman
tentaculaire. Celui de la place de la mort dans nos sociétés contemporaines.
Celui de la solitude comme le dit si explicitement le titre.
Car la solitude et la
mort, Jack Luxton peut dire qu’il les connaît. Il vient d’enterrer avec les
honneurs militaires son frère cadet Tom, engagé dès l’âge de dix-huit ans comme
soldat et tombé déchiqueté par une mine en Irak. Année après année, tout autour
de Jack le vide s’est fait. C’est d’abord sa mère qui est morte d’un cancer
alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Puis son père dans des circonstances
dramatiques que nous découvrirons. Même son chien. Ne lui reste plus qu’Ellie,
sa compagne de jeu d’enfance, sa première et seule amante, sa confidente, son
âme, sa sœur et son épouse à la fois. C’est à elle qu’il a écrit
« J’aimerais tellement que tu sois là » sur une carte postale alors
qu’ils étaient encore adolescents. Une phrase qui a scellé leur amour. Une
phrase qui s’adresse aussi à tous ces disparus qui hantent l’esprit de Jack, un
taiseux qui ressasse, qui tente de faire bonne figure. C’est qu’il a dû également
composer avec la crise de la vache folle, puis la fièvre aphteuse, vendre la
ferme pour éponger les dettes et s’improviser gérant d’un camping sur l’île de
Wight, conciliant des rôles de pacificateur, de policier, de copain débonnaire
pour lesquels il s’est découvert des talents.
Mais tout s’écroule avec
la mort de Tom. Le passé remonte, le présent s’y superpose pour finir par
former un cocktail explosif où tous les repères disparaissent sous la tension devenue
intolérable.
Par petites touches, sans
effet de manche, avec une pudeur extrême, Graham Swift nous plonge au cœur d’un
drame familial et personnel calqué sur des drames de société (la guerre en
Irak, la crise agricole, la paupérisation etc…). Ne cherchez pas le
spectaculaire et laissez-vous guider, souvent malmener par la route chaotique
d’une vie qui dit aussi celle de bien de nos contemporains frappés par les
drames.
Publié aux Editions
Gallimard – 2013 – 416 pages