20.10.13

J’aimerais tellement que tu sois là – Graham Swift



Graham Swift n’a pas la reconnaissance en France qu’il mérite. Seuls trois de ses romans ont été publiés traduits en Français, malgré les Prix littéraires et les reconnaissances qui se sont accumulés ; malgré aussi le fait qu’il fasse partie de cette trilogie d’écrivains exceptionnels, tous de la même génération, avec Julian Barnes ou Ian McEwan. Il faut dire que Swift ne fait pas dans le spectaculaire. Sa matière c’est le presque indicible, la banalité des faits quotidiens, les aléas qui secouent nos vies souvent sans prévenir et tout qu’ils agitent alors en nous : les souvenirs qui remontent, le cerveau qui parfois disjoncte sous la pression, les tiraillements entre des options toutes incompatibles… Bref, c’est l’intime et l’humain qui sont l’essence même de son écriture.

« J’aimerais tellement que tu sois là » en est l’archétype. Swift plante très vite le décor. Un homme, Jack Luxton, est assis, posté devant sa fenêtre dans sa chambre. Il observe, pense, un fusil à la main. De cette photographie presque instantanée, potentiellement trompeuse, Graham Swift tire un roman tentaculaire. Celui de la place de la mort dans nos sociétés contemporaines. Celui de la solitude comme le dit si explicitement le titre.

Car la solitude et la mort, Jack Luxton peut dire qu’il les connaît. Il vient d’enterrer avec les honneurs militaires son frère cadet Tom, engagé dès l’âge de dix-huit ans comme soldat et tombé déchiqueté par une mine en Irak. Année après année, tout autour de Jack le vide s’est fait. C’est d’abord sa mère qui est morte d’un cancer alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Puis son père dans des circonstances dramatiques que nous découvrirons. Même son chien. Ne lui reste plus qu’Ellie, sa compagne de jeu d’enfance, sa première et seule amante, sa confidente, son âme, sa sœur et son épouse à la fois. C’est à elle qu’il a écrit « J’aimerais tellement que tu sois là » sur une carte postale alors qu’ils étaient encore adolescents. Une phrase qui a scellé leur amour. Une phrase qui s’adresse aussi à tous ces disparus qui hantent l’esprit de Jack, un taiseux qui ressasse, qui tente de faire bonne figure. C’est qu’il a dû également composer avec la crise de la vache folle, puis la fièvre aphteuse, vendre la ferme pour éponger les dettes et s’improviser gérant d’un camping sur l’île de Wight, conciliant des rôles de pacificateur, de policier, de copain débonnaire pour lesquels il s’est découvert des talents.

Mais tout s’écroule avec la mort de Tom. Le passé remonte, le présent s’y superpose pour finir par former un cocktail explosif où tous les repères disparaissent sous la tension devenue intolérable.
Par petites touches, sans effet de manche, avec une pudeur extrême, Graham Swift nous plonge au cœur d’un drame familial et personnel calqué sur des drames de société (la guerre en Irak, la crise agricole, la paupérisation etc…). Ne cherchez pas le spectaculaire et laissez-vous guider, souvent malmener par la route chaotique d’une vie qui dit aussi celle de bien de nos contemporains frappés par les drames.

Publié aux Editions Gallimard – 2013 – 416 pages