31.1.14

Supplément à la vie de Barbara Loden – Nathalie Léger



Très rapidement, sans aucun doute, au bout de quelques pages vous aurez pris votre parti : soit cet essai inclassable vous ravira par son écriture qui se dévide aisément, soit vous serez envahi par un sentiment de surprise et de rejet en vous demandant ce qui a bien pu piquer un éditeur de publier un bouquin pareil…

Disons-le sans ambages, nous nous situons sans hésitation du côté des mauvais coucheurs.
De Barbara loden, on ne sait presque rien si ce n’est qu’elle fut l’épouse d’Elia Kazan et qu’elle tourna un unique film, Wanda, dont elle occupa le rôle principal. Ce fut un bide retentissant. Suffisant pour servir de prétexte ? A vous de juger.

De toutes façons, on n’en saura guère plus sur cette inconnue qui restera tout aussi mystérieuse le livre refermé. Car, en fait de supplément, il s’agit plutôt d’une divagation continue, d’une sorte de journal intime dans lequel Nathalie Léger semble mêler ses propres sentiments et interrogations et flouter l’image de son personnage avec celles de célébrités qu’elles convoque, que ces dernières aient ou non le moindre lien avec Barbara Loden, laquelle devenant très vite un vague prétexte évoqué ici ou là comme un fantôme aussi énigmatique que le texte qui lui sert de support.

Bref, voici un livre qui risquera de plaire dans un cercle littéraire étroit mais qui laissera probablement de côté tous les autres pourtant pourvus des meilleures intentions surtout après avoir lu ou entendu des montagnes d’éloges incompréhensibles sur un ouvrage qui l’est tout autant.

Publié aux Editions POL – 2012 – 149 pages

Areva, mon amour – Thierry Gadault


 
Grâce à un minutieux travail d’enquête et d’interviews réalisées auprès des principaux acteurs dont il est question tout au long de ce récit passionnant, Thierry Gadault nous révèle les féroces combats qui se livrent en coulisses pour mettre la main sur une partie essentielle de la filière nucléaire française.

Comme nous le montre l’auteur, tout tourne autour d’une obsession. Celle du Corps des Mines de reprendre la main sur l’entreprise. Un pouvoir qu’ils avaient acquis dès la mise en place du programme nucléaire national sur décision du Général de Gaulle et qu’ils avaient perdu en 1970 suite à une série d’échecs désastreux de la filière gaz-graphite et qui avaient conduit le Ministre de l’Industrie de l’époque, Giraud, à imposer un redécoupage des rôles et un transfert des pouvoirs.
Depuis, dans l’ombre, le puissant Corps X-Mines n’a cessé de manœuvrer pour revenir aux commandes, contrer les velléités d’un autre géant, EDF, où règnent en maîtres les ingénieurs des Ponts et Chaussées, de s’accaparer le contrôle intégral du nucléaire, allié à Bouygues, le bétonneur préféré de l’opérateur énergétique.

Avec la nomination d’Anne Lauvergeon, orchestrée par celui qui règne sur les carrières au sommet des meilleurs des Mines, le Corps avait probablement pensé parvenir à son objectif. Mais c’était sans compter sur trois facteurs.
Tout d’abord, le fait que Mme Lauvergeon est avant tout une Normalienne qui s’est vue octroyer le privilège réservé aux meilleurs Normaliens d’intégrer les Mines, faisant d’elle aux yeux de ses pairs une sorte de sous-diplômée.

Ensuite, la personnalité de Mme Lauvergeon dont l’auteur nous détaille le caractère autoritaire, quasi-tyrannique qui finira par irriter tout le gotha prêt à toutes les alliances y compris contre nature pour déboulonner une femme de pouvoir, difficile à manœuvrer et capable de contrer, coup après coup, les pires plans visant à l’affaiblir.

Enfin, la volonté de Nicolas Sarkozy d’affaiblir le Corps des Mines devenu encombrant et omniprésent d’une part et de satisfaire ses amis et ses soutiens de campagne que furent Henri Proglio et Martin Bouygues tout deux désireux de mettre la main sur Areva.
Suivre l’histoire de cette entreprise, c’est suivre les arcanes du pouvoir, les traîtrises des uns, les coups bas des autres. C’est aussi voir comment la République est capable de mener des dossiers à leur propre perte faute d’une gestion appropriée et parce qu’obnubilée par des considérations d’ordre politique et personnel. C’est aussi décoder ce qui fit les choux gras de la presse pendant plusieurs mois  autour du dossier Uranim, véritable désastre financier avant de devenir le catalyseur qui mènera Mme Lauvergeon vers la sortie d’une entreprise qu’elle se serait vue continuer de diriger.

Un livre passionnant, éclairant, didactique, riche et détaillé.

Editions François Bourin – 2012 – 163 pages

25.1.14

Eux sur la photo – Hélène Gestern



A travers ce premier roman très réussi, Hélène Gestern se lance à la poursuite des secrets de famille et de la façon particulière qu’a le support photographique de fixer des lieux, des personnages, imprimant une mémoire spécifique, à la fois immuable parce que figée, et versatile parce que propre à soulever des émotions, des souvenirs, des réactions appartenant à chaque contemplateur.

Tout commence presque banalement. Trouvant un jour une photographie de sa mère décédée qui l’interpelle, une femme passe une annonce dans un journal pour tenter de retrouver l’identité des deux inconnus qui l’entourent, l’un souriant et avec lequel elle semble en symbiose, l’autre se tenant en retrait de façon légèrement comique. Alors qu’elle n’y croyait plus, une réponse arrive, celle d’un homme qui aura reconnu son père.

Commence alors une longue enquête portée d’abord par le désir de comprendre pourquoi le père de l’un fréquentait la mère de l’autre et ce qu’ils pouvaient bien être l’un pour l’autre à un âge où les deux étaient mariés et parents. Une enquête qui, par ses découvertes et ses révélations successives va forcément et profondément bouleverser le regard que ces deux adultes vont porter sur leurs parents, remettant au grand jour les souffrances endurées lors de leur enfance, fissurant avant de la faire exploser les chapes de plomb que leurs familles respectives auront posé sur eux.

Tout progresse lentement, avec toutes les hésitations qu’une nouvelle découverte engendre. Celle de vouloir en savoir plus et celle de la peur d’en savoir plus et de ce que cela pourrait bouleverser dans leurs vies, leurs croyances, leurs interprétations de petits faits, de cette montagne de souvenirs qui nous constituent.

Tout, au début, se fait par un échange de correspondance d’abord neutre puis de plus en plus personnelle au fur et à mesure que les sentiments des deux enquêteurs malgré eux éprouvent face à leurs découvertes, face à eux-mêmes et, surtout, l’un vis-à-vis de l’autre.

Pour comprendre, il leur faudra aussi plonger dans pléthore de clichés photographiques pris par le père de la femme et décoder des images d’une beauté sidérante et envoûtante mais illustrant aussi la souffrance et la solitude d’un homme dont on découvre le parcours et la vie gâchée par une incapacité à avoir su gérer normalement une situation qui, pour être pénible, n’en était pas moins d’une relative banalité.

Nul ne sortira indemne des histoires que raconte cette photo figée avant, pendant et après qu’elle fût prise. Beaucoup de mensonges pour tenter de protéger et de dissimuler au prétexte de protéger des enfants qui, devenus adultes, porteront de profondes séquelles de maux qu’ils ne savaient jusqu’ici pas expliquer.

Il y a de nombreuses facettes dans ce livre fascinant, poétique et superbement écrit par H. Gestern. Celle de l’enquête en soi. Celle d’une correspondance qui évolue entre un homme et une femme qui se découvrent et se rapprochent. Celle du regard que l’on peut porter sur les êtres, les images et les choses. Tout cela s’enchevêtre pour former une toile dense, superbement construite et porteuse d’une émotion qui ne faiblit jamais.

Une très belle réussite en fait !

Publié aux Editions arléa – 2011 – 274 pages

19.1.14

L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté caché dans une armoire IKEA – Romain Puértolas



Voici un roman sans doute aussi imprévisible et déjanté que son auteur. Ce dernier, avant que de connaître un succès aussi inattendu que retentissant avec son septième manuscrit mais le premier à être publié, a exercé des métiers presque aussi improbables, du moins dans leur séquence, que professeur de français en Espagne et d’espagnol en France, de réparateur de machine à sous en Angleterre ou encore d’inspecteur de police ! Autant dire que les bouleversements, les changements de pays, de culture, d’approche ou de vie il connaît, ce qui expliquera sans doute la série d’aventures rocambolesques et absolument improbables que va connaître son personnage principal.

Venu en France pour vingt-quatre heures acheter un lit à clous (en fait à monter en se tapant le clouage de milliers de clous) chez Ikea, notre fakir indien va se trouver baladé contre son gré entre l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie ou la Syrie connaissant en  à peine quelques jours le sort d’un immigrant clandestin  avant que de devenir un personnage respectable.

Dans ce qui ressemble à un voyage initiatique et symbolique du chaos et des contradictions de nos sociétés modernes, l’homme réalisera l’ineptie de son existence passée, ressentira les remords d’avoir trompé son monde, sa famille et ses voisins, se vengeant inconsciemment jusqu’alors de la malfaisance qu’il aura subie dans son enfance. Il affrontera les difficultés et trouvera la force de changer du tout au tout sa vie mêlant courage, fuite, ruse et chance et trouvant surtout l’amour et l’amitié qui jusqu’ici lui avaient été interdits.

Tout cela est aussi farfelu qu’assez drôle mais écrit avec une platitude presque aussi désespérante que le succès immérité et inexplicable d’un roman que tout le monde s’arrache et qu’on aura sans doute assez vite oublié vu sa pauvreté intrinsèque…

Publié aux Editions Le Dilettante – 2013 – 253 pages

18.1.14

La fin des temps – Haruki Murakami



Les lecteurs assidus de Cetalir savent que nous considérons Murakami comme l’un des auteurs majeurs des XX et XXI ème siècle au Japon. Cet écrivain possède une étonnante capacité à imaginer des mondes qui lui sont propres, presque toujours à la lisière du réel et du conte fantastique. Des mondes où les personnages mis en scène sont poussés à leurs extrêmes limites, doivent faire face à des situations effroyables et stressantes dont ils ressortiront en général transformés et grandis.

« La fin des temps » n’échappe en aucune façon à la règle mais innove dans la façon dont Murakami décide de construire son fascinant récit. L’épais roman est en effet invariablement édifié sur l’alternance de chapitres qui se déroulent dans deux mondes apparemment parallèles et dont nous allons peu à peu découvrir ce qui les relie, en dépit de toute logique première.

De longs chapitres qui constituent l’ossature de l’ouvrage alternent avec de brefs chapitres, oniriques et étranges, dont il semble qu’ils se déroulent dans un monde imaginaire. Progressivement, on comprend que ces derniers s’alimentent des premiers jusqu’à influencer le déroulement même d’une action qui se passe dans le monde réel.

Les longs chapitres mettent en scène un jeune homme d’une trentaine d’années. Comme presque toujours chez Murakami, ce personnage central semble un peu falot. Il travaille peu, vit seul suite à un récent divorce, multiplie les aventures sexuelles sans lendemain et ne paraît pas vraiment enraciné dans la société moderne nippone. Employé par une mystérieuse entreprise informatique qui semble superviser le monde, sa vie va basculer lorsqu’il lui sera demandé de protéger et d’encoder des programmes ultra-sensibles mis au point par un vieil homme retiré dans un improbable laboratoire souterrain.

Du jour au lendemain, il devient la proie de pirateurs informatiques qui cherchent à s’emparer de son travail, saccagent son appartement et  lui ouvrent le ventre sans provoquer délibérément de blessures profondes. Aidé par la jeune nièce de dix sept ans du vieil homme, ronde et toute de rose vêtue, obsédée par le désir de se faire dépuceler par notre homme, il va se lancer dans une course qui nous emmène dans les sous-sols toyoïtes où les dangers sont omniprésents et multiples. Il s’en suivra des chapitres haletants et moites où des créatures mi hommes mi poissons n’auront de cesse que de chercher à dévorer nos deux jeunes fuyards.

Intercalés entre chaque chapitre, de courtes scènes se déroulent dans un monde réduit à une cité fantomatique. Une ville cernée de murailles infranchissables, dans laquelle les habitants ont tous renoncé à leurs ombres, restées en dehors, jusqu’à leur mort, sous la surveillance d’un gardien commis à cet effet. Une cité dans laquelle paissent paisiblement des licornes qui meurent en grand nombre des hivers rigoureux et mettent bas le nombre identique de jeunes bêtes au printemps revenu.

Quels liens existent-ils entre ces deux mondes ? Qui est le liseur de rêves, cet homme triste à qui on a crevé les yeux, qui tente de décoder les images restées imprimées dans les crânes des licornes pieusement conservés ? Pourquoi le fuyard terrestre s’est-il vu remettre une copie de crâne de licorne par le vieux savant à moitié fou ? Quelle place l’amour tient-il dans notre vie et quelle en est la capacité rédemptrice ? Peut-il exister un monde intérieur déconnecté de notre vraie vie ? Telles sont, entre autres, les multiples questions que ce roman, récompensé par le Prix Tanizaki, abordent à sa façon, c’est-à-dire avec l’intelligence, la puissance imaginaire, la pointe d’ironie et la finesse qui caractérisent Haruki Murakami ici au sommet de son art.

Vivement recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions Seuil – 1992 – 560 pages

14.1.14

Le Cosmonaute – Philippe Jaenada



Comme dans son précédent roman « Nefertiti dans un champ de canne à sucre », paru trois ans plus tôt, Jaenada donne libre cours à son délire pour chasser ses démons que sont l’alcool (beaucoup), le dilettantisme (toujours) et le sexe (intensif et sauvage, de préférence). Si vous ne connaissez pas Jaenada, autant vous prévenir tout de suite. Vous entrez dans un univers à part, fait de langage parlé savoureusement élaboré, truffé de parenthèses comme autant de digressions sur la pensée qui survient et qui gratte. Un monde dans lequel les femmes semblent liguées pour pourrir la vie des hommes une fois qu’ils ont été enroulés dans des rets tissés de folie, de jalousie comme autant de moyens d’exprimer un mal de vivre permanent et d’expulser une haine de soi qui hante l’univers féminin Jaenadien.

L’éternel personnage qui se raconte, sorte de double à peine voilé de l’auteur, est toujours le même : vaguement travailleur, presque toujours dans la pub, ici également ex détective privé de troisième zone et rédacteur d’articles à sensations pour un journal de bas étage, amateur de bières partagées avec les copains dans le bar permanent des romans de Jaenada, « Le Saxo ». Notre homme se laisse vivre en célibataire endurci. Jusqu’à…

Jusqu’à la fatale rencontre avec Pimprenelle, une blonde délurée de vingt cinq ans, éthérée, rencontrée au cours d’une enquête qui mène notre homme au cœur d’une forêt allemande où se célèbre un curieux mariage, barbare et rustre, peuplé de hell angels qui descendent des brocs de bière en se livrant à des jeux stupides et fondés sur une aveugle force physique.

Pimprenelle tombe vite enceinte et le roman s’ouvre sur l’accouchement. De cet acte essentiel, Jaenada fait une œuvre d’art, dans son style personnel et imagé. Car un accouchement jaenadien ne peut être que fantasque, plein de rebondissements, haletant et sanglant. L’auteur saura nous tenir en haleine pendant près de deux cent pages, ce qui n’est pas un mince exploit, sans jamais lasser et en pratiquant de fréquents déplacements temporels, précédant ou suivant cette mise à la vie.

Une vie qui tournera ensuite au cauchemar tant Pimprenelle sombrera dans une psychose hantée par l’obsession de l’ordre et de la propreté, elle qui ne se commettait jusqu’alors à aucune tache ménagère et qui vivait en bohémienne. Comme dans Nefertiti, l’homme s’accroche car il croit en l’amour, il veut cet amour avec cette femme idéalisé. Et ce, malgré toutes les évidences qui font de sa vie un enfer quotidien de plus en plus insupportable au point de le vider de toute personnalité.

Après la mise à la vie, c’est à une mise à mort psychologique que nous assistons en temps réel, basée sur des relations complexes d’amour-haine, des successions imprévisibles de terreur et d’affection, cette interdépendance malsaine qui font d’une relation celle d’un maître et d’un esclave interdépendants et masochistes.

Grâce à l’humour de Jaenada, à son côté totalement déjanté, l’insupportable devient tolérable voire la normalité. C’est ce qui fascine chez lui d’ailleurs.

Au total, il en résulte un livre fort, bien construit, sombre et moins drôle que beaucoup de ses livres plus récents mais très réussi.

Publié aux Editions Grasset – 2002 – 355 pages

8.1.14

Mauvaise pente – Keith Ridgway



Ce roman fut le premier de K. Ridgway, auteur irlandais. Il fut récompensé en 2001 par le Prix Fémina Etranger et le Prix du premier roman étranger. Le découvrant huit ans plus tard, je m’interroge sincèrement sur ce qui a bien pu motiver l’attribution de ces récompenses à ce qui, à mes yeux de lecteur averti, constitue un roman sympathique mais au fond, très moyen.

Sans doute ai-je été gêné par la relative pauvreté de vocabulaire et de style tant il est vrai que j’attache une grande importance à la qualité de l’écriture. Sans doute, aussi, ai-je trouvé que l’intrigue traînait en longueur et donnait, parfois, lieu à des développements un tantinet longuets d’autant plus qu’ils s’inscrivent dans des dialogues ternes, aussi pauvres que les propos de bar, la formule en moins !

Car les dialogues tiennent une place significative dans ce roman. Si vous êtes amateur de belles pages descriptives ou d’intériorité, vous serez immanquablement déçus. A tel point qu’on se demande si ce récit hésite entre roman et pièce de théâtre.

Pourtant, le propos de l’auteur est ambitieux et courageux. Il tourne fondamentalement autour de deux thèmes qui s’entrecroisent et se nourrissent l’un de l’autre. D’une part, celui de la culpabilité, d’autre part celui de l’avortement dans une Irlande qui se modernise mais qui est ancrée dans une tradition catholique rigide et rétrograde.

Grace vit dans une ferme reculée d’Irlande. Elle est mariée à un homme qui la méprise depuis que leur plus jeune fils, Sean, est mort noyé dans une flaque d’eau alors que Grace étendait son linge. Grace vit dans la terreur des coups qui pleuvent, de plus en plus violents et fréquents, qui ponctuent les retours alcoolisés de cet époux dont elle ne sait comment se défaire. Un homme qui fut emprisonné pour avoir tué la fille des voisins qu’il écrasât un soir, ivre au volant de sa guimbarde.

Alors un soir où les coups furent plus violents que d’habitude, elle se résout à fuir. Mais avant, elle s’installera au volant de la fameuse voiture et attendra, nuitamment, que son démon apparaisse sur la petite route pour lui foncer dessus et l’écraser à son tour.

Elle se réfugiera ensuite chez son deuxième fils, Martin, qui vit à Dublin. Martin déteste son père qui l’a frappé et chassé lorsque Martin lui a avoué qu’il était homosexuel. Voilà des années que Martin et sa mère ne se sont pas vus. Il leur faut s’apprivoiser. Epreuve d’autant plus difficile que Grace a changé. Elle alterne de rares moments de quasi hystérie avec des phases de plus en plus longues dépressives. Une dépression qui s’installe profondément au fur et à mesure que la prise de conscience de son acte est grandit.

A partir de là K. Ridgway s’applique à décrire les mécanismes qui vont broyer Grace et Martin, les séparant à jamais l’un de l’autre. Grace parce qu’elle s’installe dans une grave dépression qui grandit avec la pression policière qui enquête sur la mort de son ex-mari, Martin parce qu’il est fondamentalement instable, fragile, jaloux et possessif et qu’il pètera les plombs lorsqu’il découvrira le geste de sa mère.

Au total, c’est un roman noir, très noir, qui n’offre que peu d’espoir mais qui interpelle sur ce que subissent ces milliers de femmes battues, à la merci de monstres domestiques.

Publié aux Editions Phébus – 2001 – 334 pages

4.1.14

Fuir – Jean-Philippe Toussaint



« Fuir » constitue le deuxième tome de la trilogie amoureuse entre le narrateur, dont nous ignorons le nom, et Marie, cette belle ensorcelée, fantasque, insupportable, délicieuse et enjôleuse. Comme pour le premier tome « Faire l’amour » ou le récent « La vérité sur Marie », ce court fascicule peut se lire en toute indépendance des deux autres.

Toussaint a le chic pour poser, en quelques phrases, le ton et le lieu du récit. Nous voici débarqués en plein Shanghai où le narrateur se rend. Il doit y remettre une enveloppe comportant vingt mille dollars à l’agent de Marie dont, une fois de plus, il est plus ou moins séparé.

Perdu dans un pays dont il ne comprend ni la langue ni les usages, il se trouve confronté à deux étranges personnages. L’agent, vaguement menaçant, indéchiffrable, vociférant régulièrement dans son téléphone portable, aux allures de malfrat et de combineur. Mais aussi, et surtout car c’est un thème récurrent dans cette trilogie du désir, une troublante jeune chinoise, furieusement attirante et qui entretient une relation énigmatique avec l’agent.

Sur cette trame, Toussaint nous entraine sur un rythme effréné à travers une Chine sale et bruyante, d’autant plus dangereuse que les activités du binôme chinois prennent des libertés appuyées avec la légalité.

Mais ce roman est aussi, voire surtout, un roman sur l’attirance, sur le jeu de la séduction, sur la difficulté à quitter un être qui fut aimé et qui a le chic pour vous rattraper aux pires moments d’une nouvelle tentative amoureuse. Car Marie est une indescriptible chieuse !

Pourtant, on reste en dehors de ce roman qui n’a ni la puissance scripturale et narrative du dernier tome, ni l’unicité étrange des premiers romans de l’auteur. Le livre se laisse lire plaisamment, on y admire une apparente facilité à écrire, mais on pourrait bien l’oublier aussi vite qu’on l’aura lu.

Publié aux Editions de Minuit – 2005 - 186 pages