Comme le dit joliment l’auteur, le Japon moderne s’inscrit
dans trois grandes religions : le bouddhisme traditionnel, le catholicisme
qui s’est implanté plus récemment et le « bonheurisme », héritage des
années d’après-guerre.
Le bonheurisme, c’est la recherche absolue, acharnée et à
tout prix d’une forme de bonheur souvent futile parce qu’immédiat, non durable
et fortement dangereux. Pour beaucoup de femmes japonaises, cela se traduit par
une frénésie de dépenses vestimentaires au point de les transformer en fashion
victims des boutiques de luxe françaises et italiennes.
Comme le décrit en partie Radhika Jha et, pour l’avoir
constaté par moi-même au cours de mes fréquents séjours professionnels là-bas,
être une femme au Japon est un exercice souvent délicat et qui se résume à un
choix. Celui de s’impliquer totalement dans son travail, optant pour le célibat
et une vie assez austère, très ego-centrée. Ou celui de devenir une épouse, ne
voyant que rarement un mari abruti de travail, gérant le salaire en totalité,
construisant entièrement sa vie autour de l’éducation des enfants et de la
tenue du foyer.
Un monde de frustrations, dominé par les mâles avec lesquels
il faut jouer des coudes et qu’il convient de séduire pour se faire une place.
Un monde où, du coup, se mettre en valeur, se faire belle est autant un moyen
de se faire plaisir, que de manipuler un peu les hommes tout en affichant aux
yeux des autres un statut social.
Mais derrière cette frénésie d’achats dictés par la
nécessité de ne jamais paraître la même et de cultiver son élégance, se cachent
bien des maux : la compulsion, la dépression, la dette et la recherche de
n’importe quel moyen pour parvenir à effacer le poids d’un argent trop
facilement dépensé et qu’on ne sait plus apporter.
C’est tout cela que va fort bien mettre en scène Radhika Jan
dans un roman joliment emballé et très attachant. On va y suivre la vie d’une
jeune femme tokyoïte, mariée très – trop – jeune, victime de ce syndrome et
s’enfermant dans un enfer en prenant une succession de mauvaises décisions qui
finiront par la détruire.
Les mécanismes psychologiques conduisant aux achats
compulsifs y sont fort bien décrits ainsi que le cycle dépressif qui s’en suit.
L’auteur, qui a vécu au Japon avec son mari diplomate pendant quelques années,
y montre aussi les difficiles relations entre des maris salary-men,
complètement absorbés par leur entreprise, et des épouses esseulées et
forcément tentées du coup de se créer du lien social avec tous les risques et
les conséquences que cela peut un jour engendrer. Et, comme toujours, les
prédateurs ne manquent pas qui volent comme des vautour au-dessus des têtes des
femmes qui n’auront pas eu l’intelligence ou la force de résister aux multiples
tentations visant à mettre en valeur leur féminité délaissée par des maris trop
occupés par ailleurs.
Le livre se dévore à la fois pour son style, efficace et
nerveux, et son histoire pathétique mais éminemment représentative d’un
véritable problème de société. Une belle découverte !
Publié aux Editions Philippe Picquier – 2014 – 275 pages