22.2.15

La beauté du diable – Radhika Jha


Comme le dit joliment l’auteur, le Japon moderne s’inscrit dans trois grandes religions : le bouddhisme traditionnel, le catholicisme qui s’est implanté plus récemment et le « bonheurisme », héritage des années d’après-guerre.

Le bonheurisme, c’est la recherche absolue, acharnée et à tout prix d’une forme de bonheur souvent futile parce qu’immédiat, non durable et fortement dangereux. Pour beaucoup de femmes japonaises, cela se traduit par une frénésie de dépenses vestimentaires au point de les transformer en fashion victims des boutiques de luxe françaises et italiennes.

Comme le décrit en partie Radhika Jha et, pour l’avoir constaté par moi-même au cours de mes fréquents séjours professionnels là-bas, être une femme au Japon est un exercice souvent délicat et qui se résume à un choix. Celui de s’impliquer totalement dans son travail, optant pour le célibat et une vie assez austère, très ego-centrée. Ou celui de devenir une épouse, ne voyant que rarement un mari abruti de travail, gérant le salaire en totalité, construisant entièrement sa vie autour de l’éducation des enfants et de la tenue du foyer.

Un monde de frustrations, dominé par les mâles avec lesquels il faut jouer des coudes et qu’il convient de séduire pour se faire une place. Un monde où, du coup, se mettre en valeur, se faire belle est autant un moyen de se faire plaisir, que de manipuler un peu les hommes tout en affichant aux yeux des autres un statut social.

Mais derrière cette frénésie d’achats dictés par la nécessité de ne jamais paraître la même et de cultiver son élégance, se cachent bien des maux : la compulsion, la dépression, la dette et la recherche de n’importe quel moyen pour parvenir à effacer le poids d’un argent trop facilement dépensé et qu’on ne sait plus apporter.

C’est tout cela que va fort bien mettre en scène Radhika Jan dans un roman joliment emballé et très attachant. On va y suivre la vie d’une jeune femme tokyoïte, mariée très – trop – jeune, victime de ce syndrome et s’enfermant dans un enfer en prenant une succession de mauvaises décisions qui finiront par la détruire.

Les mécanismes psychologiques conduisant aux achats compulsifs y sont fort bien décrits ainsi que le cycle dépressif qui s’en suit. L’auteur, qui a vécu au Japon avec son mari diplomate pendant quelques années, y montre aussi les difficiles relations entre des maris salary-men, complètement absorbés par leur entreprise, et des épouses esseulées et forcément tentées du coup de se créer du lien social avec tous les risques et les conséquences que cela peut un jour engendrer. Et, comme toujours, les prédateurs ne manquent pas qui volent comme des vautour au-dessus des têtes des femmes qui n’auront pas eu l’intelligence ou la force de résister aux multiples tentations visant à mettre en valeur leur féminité délaissée par des maris trop occupés par ailleurs.

Le livre se dévore à la fois pour son style, efficace et nerveux, et son histoire pathétique mais éminemment représentative d’un véritable problème de société. Une belle découverte !


Publié aux Editions Philippe Picquier – 2014 – 275 pages