25.6.17

La danse des vivants – Antoine Rault


En nous mettant sur les traces de son personnage principal, Antoine Rault nous invite à  lire son dernier roman au moins de trois manières à la fois différentes et complémentaires.

D’abord, c’est le plus naturellement possible que nous suivrons l’épopée romanesque d’un personnage dont l’auteur fait le représentant typique d’une génération sacrifiée. Celle de ces millions de jeunes gens qui furent mobilisés, des deux côtés de la frontière, pour être envoyés à la grande boucherie aveugle que fut la Première Guerre Mondiale.

Après un nouvel assaut, un jeune homme est retrouvé au fond d’un trou d’obus, englué dans la boue. Vivant mais choqué, il est devenu amnésique. On ne sait rien de lui sa plaque militaire ayant été perdue. Seuls son caleçon et ses chaussettes permettent de conclure qu’il s’agit d’un soldat français. Hospitalisé, et suite à une enquête minutieuse, on finira par comprendre qu’il s’agit d’un Normalien fils d’une famille puissante, parlant deux langues maternelles, le français et l’allemand, en plus du russe.

Parce ce que cela arrange un père qui n’a jamais voulu de ce fils ainsi que l’armée et le pouvoir politique, on va faire du jeune Français survivant un soldat décédé avant de lui attribuer l’identité d’un officier allemand tué au combat, victime jamais déclarée à l’ennemi, pour en faire un espion chargé d’infiltrer les Freikorps partis combattre les Russes rouges dans les pays baltes.

Ce n’est cependant pas dans la trame romanesque que ce situe l’intérêt principal d’un roman qui souffre par ailleurs d’une écriture assez lâche et de quelques formules maladroites voire parfois ridicules.

On trouvera plus d’intérêt dans l’analyse psychologique des personnages dont beaucoup sont la proie d’une perte de repères. Car la guerre a tout chamboulé, détruisant les hommes, réduisant les valeurs morales en miettes, poussant beaucoup à se radicaliser d’une manière ou d’une autre pour tenter d’expliquer l’inacceptable. Dans ce magma, celui qui est à la fois Charles, l’officier français déclaré mort mais bien vivant et Gustav, l’officier allemand mort dont il a hérité l’identité, ne sait ni qui il est, ni pourquoi et pour qui il mène les combats et les actions qui lui sont confiés. La succession d’histoires amoureuses sordides et décevantes ne fera que tirer vers le bas, vers toujours plus de désespoir un homme brisé, sans passé, sans repères personnels, ballotté entre deux cultures qu’il aime et admire de deux pays qui se déchirent.

En fait, le principal véritable intérêt de gros pavé de près de cinq cents pages tient plus dans l’analyse historique de faits que l’Education Nationale, grande normalisatrice de la pensée commune, passe pudiquement sous silence. Tels les traitements infligés en pleine conscience aux blessés de guerre souffrant de troubles psychologiques auxquels on inflige des traitements tellement horribles qu’ils finissent par demander rapidement à être renvoyés sur le front. Il fallait bien remplir l’objectif de 99% de retour rapide de ceux dont on a besoin comme viande de boucherie. Tels aussi les comportements des chefs politiques alliés, dont Clémenceau au premier chef, qui firent tout pour humilier l’Allemagne et la pousser dans une logique de nouvelle guerre malgré les alertes des Allemands modérés venus demander clémence et considération, conscients du danger induit par la propagande nationale qui avait décrété que la guerre n’avait pas été perdue militairement mais de façon odieuse car purement politique.

Souvent un peu touffu, voire confus, souffrant d’une écriture plus proche du roman de gare que de la grande littérature, ce livre, malgré ses défauts évidents, se laissera lire pour l’originalité de son histoire et l’éclairage qu’il nous apporte sur l’Histoire.


Publié aux Editions Albin Michel – 2016 – 491 pages