11.3.20

La chair – Rosa Montero


C’est un bien joli roman, intelligent, cultivé et fort brillamment construit que nous propose la grande romancière espagnole Rosa Montero.

À soixante ans désormais, Soledad prend conscience que la vie a passé et avec elle, la jeunesse, le charme, l’éternel pouvoir de la séduction. Elle vient d’ailleurs d’en faire la cruelle expérience puisqu’elle, la femme à la plastique encore attirante lui permettant de paraître vingt ans de moins qu’elle en a grâce aux indispensables subterfuges féminins, elle la croqueuse d’hommes de préférence mariés et plus jeunes qu’elle, s’est tout juste faite larguer par son amant lequel a donné la préférence à son épouse jeune et de surcroît enceinte.

Pour se venger, elle décide de faire appel à un superbe gigolo au bras duquel elle se produira à une représentation de Tristan et Yseult à l’Opéra de Madrid où elle sait que son ex-amant se trouvera également. Un stratagème qui lui vaudra un regard mauvais de celui qui l’a éconduite (modeste vengeance) ainsi que les coups d’œil appréciateurs et jaloux de ses amies et connaissances. Une ruse qui va également réserver bien des surprises tant la relation entre ce beau jeune homme mystérieux et celle qui est la responsable des expositions à la Bibliothèque Nationale va prendre un tour bien différent de ce qu’elle prévoyait au départ.

Tout l’art de Rosa Montero est d’élaborer un roman où les véritables personnalités de ce couple improbable vont se révéler peu à peu, laissant apparaître des êtres fort différents de l’image que l’on peut s’en faire a priori. Tout en rendant compte avec autant de pudeur que de sincérité des ravages progressifs de la vieillesse et des multiples recours pour en limiter les effets, Rosa Montero n’oublie pas la profession de son personnage Soledad. Une femme en prise avec une exposition difficile à monter et de multiples intrigues en vue de s’en accaparer la responsabilité. Un prétexte pour glisser de croustillantes et érudites anecdotes sur bien des auteurs célèbres dont l’existence connut un sort tragique. On y apprend beaucoup de choses sur Mautpassant, Twain, Stephen King et bien d’autres encore. L’auteur poussera même la coquetterie jusqu’à se faire apparaître elle-même, sous les traits d’une journaliste ayant publié un livre qui fait effectivement partie de sa propre bibliographie, dans une scène originale et fort réussie. Une connaissance des arts qui concerne également le monde lyrique puisque les références aux opéras y sont nombreuses dans le but d’éclairer la manière dont Soledad ressent tout ce qui lui arrive et comment les évènements altèrent fortement sa personnalité, soulignant subtilement toute la progression dramatique du roman.

Tout cela est brillant, parfaitement maîtrisé, intelligent mais pas le moins du monde prétentieux. Un vrai bonheur pour le lecteur, séduit de bout en bout !

Publié aux Éditions Métailié – 2017 – 191 pages