Passé maître dans les récits au bord de l’étrange, à la lisière du monde réel et de nos inconscients, Paul Auster signe ici ce qui constitue pour moi son chef-d’œuvre absolu. Certes, je suis un admirateur inconditionnel de cet auteur américain, contemporain de génie et j’ai absolument tout lu de lui, même si vous n’en trouverez pas (encore ?) les notes de lecture dans Cetalir. Mais, honnêtement, « Dans le scriptorium » est un véritable chef-d’œuvre.
Auster a choisi de recentrer le plus possible son récit et réalise ainsi un tour de force littéraire. Maîtrisant ses classiques, une unité de temps, de lieu et d’action est aussitôt mise en œuvre.
Unité de lieu car, en quelques mots qui posent tout de suite l’essentiel et distillent un léger parfum d’angoisse, nous comprenons que l’action va se dérouler dans une pièce apparemment fermée à clos. Où sommes-nous : les murs lisses et blancs, la présence d’une fenêtre au lourd volet rabattu peuvent laisser à penser que nous nous trouvons dans un hôpital. Ou bien une prison moderne, à la cellule suffisamment spacieuse pour contenir un bureau, un siège roulant et une salle de bain privative. Une prison peut-être car on n’aperçoit apparemment ni porte, ni placard. Dans tous les cas, une photographie est prise toutes les secondes et tous les sons sont enregistrés. Il y a du « Cube » dans l’air…
Tout le récit va se dérouler entre ces murs à l’intérieur desquels se tient un vieil homme, dont nous ne connaissons pas l’âge, mais savons, par déduction et remarques d’intervenants successifs, qu’il est très vieux. Par convention, ce Monsieur sera appelé Mr Blank, muré dans une cellule blanche et habillé de la tête aux pieds en blanc par une garde-malade amoureuse et totalement dévouée. Tellement dévouée qu’elle n’hésitera pas à se prêter à certains jeux érotiques sur ce vieillard que la mémoire fuit, ce qui accentue encore l’impression de malaise qui se dégage au fil des pages. Sommes-nous dans le monde réel ou dans l’imaginaire de ce malade ?
Unité de temps puisque tout se déroule sur quelques heures, du lever matinal, à la toilette, au repas de midi et jusqu’à l’heure venue de se coucher.
Unité d’action car un nombre limité de personnages va à tour de rôle surgir dans cette cellule sans que Mr Blank ne sache trop bien comment ils y sont entrés pour tous gentiment prendre soin de lui. Compulsivement, pour chercher un sens, il notera leurs noms pour ne pas les oublier. Sans doute une forme de réhabilitation posthume, comme nous le comprendrons plus tard.
Mais pourquoi lui fait-on prendre des cachets qui lui font perdre la mémoire et l’équilibre ? Pourquoi ressent-il un terrible et diffus sentiment de culpabilité ? Qui sont ces fantômes qui le hantent sitôt qu’ils ferment les yeux et qui semblent réclamer justice ?
Et puis, pourquoi chaque objet est-il méticuleusement étiqueté de son nom commun. Ne saurait-il plus reconnaître une table d’une chaise, une lampe d’un mur ? Pourquoi soudainement sans qu’il se soit rendu compte de rien, les étiquettes auront-elles été déplacées semant un désordre syntaxique dans ce qui est assurément un scriptorium.
Un scriptorium où ont été déposés quelques manuscrits dont on ne sait s’ils sont réels ou factices, mais leur simple existence littéraire suffit à les rendre réels. Des manuscrits que Mr Blank va devoir lire. Des manuscrits qui s’arrêtent brutalement et dont il faut imaginer la ou les suites possibles. Cela fait partie de la thérapeutique de Mr Blank. Car nous comprenons progressivement que Mr Blank est en soin, à sa demande. Qu’il suit un protocole spécial. Mais nous ignorons tout du mal.
Avec lenteur, Paul Auster nous fait descendre au fond de l’inconscient de Mr Blank dont nous allons découvrir qu’il fut un grand écrivain américain.
S’il est interné dans cette cellule et réduit physiquement, c’est qu’il a des comptes à rendre. Avec tous les personnages de ses livres, ceux qu’il a aimés, soit qu’il a choyés, ceux qu’il a sacrifiés et il semble que les victimes soient innombrables et en colère. C’est cette colère qu’il doit affronter.
En mêlant au récit descriptif un autre récit, jamais achevé d’un improbable John Trause, et que Mr Blank va devoir, à titre thérapeutique conduire à un terme potentiel sans être toutefois autorisé à jamais l’écrire, on observe, fasciné, les mécanismes de l’écriture, les voies étroites parfois empruntées, les doutes et les retours quand il n’y a pas d’issue solide. Par la violence du récit en question, on conçoit la quantité de victimes qui hantent spectralement l’esprit de Mr Blank, maître écrivain.
Le tout forme un livre d’une rare intelligence, un de ces grands bouquins qui vous marquent à jamais en questionnant la responsabilité de celles et ceux qui donnent et retirent vie à des personnages. Enfin, le roman putatif de Trause mettant symboliquement en scène les massacres inhérents à la construction des Etats-Unis, c’est aussi au rôle traumatisant que ce grand pays a causé et continue de causer sur ses populations et son écosystème que Paul Auster s’attaque.
Le tout servi par une écriture éblouissante d’un génie au sommet de son art ! Magique.
Publié chez Actes Sud – 147 pages
Blog d'humeur littéraire - Livres, lectures, romans, essais, critiques. La lecture comme source de plaisir, d'inspiration et de réflexion.
Qui êtes-vous ?
- Thierry Collet
- Cadre dirigeant, je trouve en la lecture une source d'équilibre et de plénitude. Comme une mise en suspens du temps, une parenthèse pour des évasions, des émotions que la magie des infinis agencements des mots fait scintiller. Lire m'est aussi essentiel que respirer. Lisant vite, passant de longues heures en avion, ma consommation annuelle se situe entre 250 et 300 ouvrages. Je les bloggue tous, peu à peu. Tout commentaire est bienvenu car réaliser ces notes de lecture est un acte de foi, consommateur en temps. N'hésitez pas également à consulter le blog lecture/écriture auquel je contribue sur le lien http://www.lecture-ecriture.com/index.php Bonnes lectures !
27.3.09
22.3.09
Démunis – Katharina Hacker
Le plus difficile dans ce roman, est de franchir la première centaine de pages. Les questions vous assaillent sans cesse. Qu’ont donc à voir ces multiples personnages qui semblent désarticulés, éparpillés entre un Berlin réunifié, un Londres glauque, un New-York hébété par l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center ?
K. Hacker nous ballade au gré de chapitres courts écrits avec une férocité contre la vie sans concession, dressant peu à peu un univers sombre, démuni de tout espoir, psychologiquement et physiquement violent. Il y a un trouble permanent dans ces pages denses qui incite le lecteur à poursuivre la recherche d’un sens jusque là énigmatique. Les près de deux cent soixante dix pages qui vont suivre vont peu à peu créer un fil d’Ariane entre ces personnages ballotés par la vie. Des démunis car vivant dans la misère crasse, l’angoisse d’une vie sans espoir ou parce qu’ils sont simplement incapables d’avoir prise sur les évènements et le monde en crise qui ouvre le nouveau siècle.
Le roman tourne autour de deux trentenaires allemands, Jakob et Isabelle. Jakob, l’avocat d’affaires berlinois spécialisé dans les questions de restitutions aux Juifs de biens immobiliers confisqués sous le régime nazi. Isabelle, la belle et énigmatique dessinatrice, troublante par une sexualité que l’on devine ambivalente et dont Jakob tomba follement amoureux, en vain.
Par hasard, ils retombent l’un sur l’autre et c’est le coup de foudre. Très vite, ils décident de se marier et Isabelle suit Jakob à Londres où son mari est nommé pour prendre la place d’un associé d’un grand cabinet d’avocats d’affaires disparu dans l’attentat du 11 Septembre. Mariés très vite, trop vite, Jakob et Isabelle restent un mystère l’un pour l’autre. Plus Jakob est accaparé par son travail, plus Isabelle s’éloigne jusqu’à devenir des presque inconnus l’un pour l’autre.
Nous découvrons alors qu’une partie des personnages disséminés dans les chapitres initiaux habitent la même rue londonienne que le couple. Que se passe-t-il dans l’appartement voisin d’Isabelle qui résonne de coups, de hurlements et dont les murs semblent recéler une violence inouïe ? Qui est cette étrange petite fille bossue et laide qui torture son chat ? Pourquoi le junky qui habite la maison d’en face est-il fasciné par Isabelle et comment va-t-il peu à peu l’encercler, la faire tomber dans les rets interlopes au fur et à mesure qu’elle s’éloigne affectivement de son mari ? Quel est le secret du patron de Jakob ? Avec une habileté redoutable, K. Hacker noue des liens entre ses personnages qui se mettent en route vers une fin qu’on devine nécessairement tragique.
L’alternance de moments apparemment paisibles, où l’amour se construit, avec des scènes de plus en plus nombreuses d’une grande violence plonge le lecteur dans un malaise grandissant, proche de l’angoisse. Une plongée vers l’abîme est certaine et c’est cette descente dans l’inconnu qui fascine.
Nous découvrons alors le Londres violent, celui des meurtres et des disparitions, de la prostitution et de la drogue, de la terreur par la violence. Par bien des côtés, le roman rappelle la montée continue vers le drame violent qu’un McEwan mettait en scène dans « Samedi ».
Ce livre est un coup de poing dans la figure. On en sort ébranlé et mal à l’aise autant qu’époustouflé par la maîtrise littéraire. Il fut couronné du « Deutscher Buchpreis » en 2006.
Publié aux Editions Christian Bourgeois – 370 pages
K. Hacker nous ballade au gré de chapitres courts écrits avec une férocité contre la vie sans concession, dressant peu à peu un univers sombre, démuni de tout espoir, psychologiquement et physiquement violent. Il y a un trouble permanent dans ces pages denses qui incite le lecteur à poursuivre la recherche d’un sens jusque là énigmatique. Les près de deux cent soixante dix pages qui vont suivre vont peu à peu créer un fil d’Ariane entre ces personnages ballotés par la vie. Des démunis car vivant dans la misère crasse, l’angoisse d’une vie sans espoir ou parce qu’ils sont simplement incapables d’avoir prise sur les évènements et le monde en crise qui ouvre le nouveau siècle.
Le roman tourne autour de deux trentenaires allemands, Jakob et Isabelle. Jakob, l’avocat d’affaires berlinois spécialisé dans les questions de restitutions aux Juifs de biens immobiliers confisqués sous le régime nazi. Isabelle, la belle et énigmatique dessinatrice, troublante par une sexualité que l’on devine ambivalente et dont Jakob tomba follement amoureux, en vain.
Par hasard, ils retombent l’un sur l’autre et c’est le coup de foudre. Très vite, ils décident de se marier et Isabelle suit Jakob à Londres où son mari est nommé pour prendre la place d’un associé d’un grand cabinet d’avocats d’affaires disparu dans l’attentat du 11 Septembre. Mariés très vite, trop vite, Jakob et Isabelle restent un mystère l’un pour l’autre. Plus Jakob est accaparé par son travail, plus Isabelle s’éloigne jusqu’à devenir des presque inconnus l’un pour l’autre.
Nous découvrons alors qu’une partie des personnages disséminés dans les chapitres initiaux habitent la même rue londonienne que le couple. Que se passe-t-il dans l’appartement voisin d’Isabelle qui résonne de coups, de hurlements et dont les murs semblent recéler une violence inouïe ? Qui est cette étrange petite fille bossue et laide qui torture son chat ? Pourquoi le junky qui habite la maison d’en face est-il fasciné par Isabelle et comment va-t-il peu à peu l’encercler, la faire tomber dans les rets interlopes au fur et à mesure qu’elle s’éloigne affectivement de son mari ? Quel est le secret du patron de Jakob ? Avec une habileté redoutable, K. Hacker noue des liens entre ses personnages qui se mettent en route vers une fin qu’on devine nécessairement tragique.
L’alternance de moments apparemment paisibles, où l’amour se construit, avec des scènes de plus en plus nombreuses d’une grande violence plonge le lecteur dans un malaise grandissant, proche de l’angoisse. Une plongée vers l’abîme est certaine et c’est cette descente dans l’inconnu qui fascine.
Nous découvrons alors le Londres violent, celui des meurtres et des disparitions, de la prostitution et de la drogue, de la terreur par la violence. Par bien des côtés, le roman rappelle la montée continue vers le drame violent qu’un McEwan mettait en scène dans « Samedi ».
Ce livre est un coup de poing dans la figure. On en sort ébranlé et mal à l’aise autant qu’époustouflé par la maîtrise littéraire. Il fut couronné du « Deutscher Buchpreis » en 2006.
Publié aux Editions Christian Bourgeois – 370 pages
20.3.09
Un clown s’est échappé du cirque – Eric Faye
Trompé par une quatrième de couverture particulièrement ambiguë, je croyais découvrir un roman et c’est une succession de nouvelles qui m’attendait au coin du bois.
Bon, qu’à cela ne tienne… Et là, ce fut un choc, je dois dire ! Rarement il m’aura été donné de parcourir des nouvelles aussi décalées, détonantes, au rythme varié et souvent véloce.
Des nouvelles sur fond de regret de celui qu’on aurait pu ou aimé être et que l’on n’a pas été. Des nouvelles en forme de pieds de nez, qui se moquent gentiment du personnage mis en scène, y compris de l’auteur lui-même victime d’un exercice autographe.
C’est derrière la façade de la réussite professionnelle ou sociale que nous emmène l’auteur. Au fin fond des angoisses qui habitent ceux-là mêmes dont on dit qu’ils ont réussi. C’est une étrange galerie dérisoire et désarmante qui défile sous nos yeux ébaudis. On n’en revient à peine et les nouvelles s’enchaînent pour nous emmener toujours plus loin dans le délire.
On y croise un haut fonctionnaire chasseur de communistes dont la mission consiste à tuer les ennemis de la nation et à en exposer les chefs. Sa vie basculera du mauvais côté le jour où il croira tomber sur la tête de son grand amour. Un clown triste, échappé du cirque, rattrapé avant qu’il ne soit trop tard pour donner encore à rire. Divers écrivains en quête de livres qu’ils n’ont jamais écrits et qui se matérialisent plus ou moins sous leurs yeux dans un destin faustien. Un conservateur de projets anthologiques qui ne verront jamais le jour. Un Ministre des Affaires Etrangères qui va consulter l’Oracle de Delphe (ma préférée !) Un jouer d’échecs poursuivi par la femme de sa vie, partie sans donner de nouvelles. Ou bien encore, une grandiose nouvelle qui met un riche homme d’affaires aux prises avec les affres de l’amour pour une imitation robotique parfaite de son idéal féminin. Et bien d’autres encore, toujours inventives et superbement ciselées.
C’est un florilège de truculence, de thèmes débridés, d’inventivité qui n’a d’autres buts que de nous divertir tout en nous invitant à rechercher ce qui donne vraiment sens à nos vies.
Délicieux et original !
Publié aux Editions José Corti – 208 Pages
Bon, qu’à cela ne tienne… Et là, ce fut un choc, je dois dire ! Rarement il m’aura été donné de parcourir des nouvelles aussi décalées, détonantes, au rythme varié et souvent véloce.
Des nouvelles sur fond de regret de celui qu’on aurait pu ou aimé être et que l’on n’a pas été. Des nouvelles en forme de pieds de nez, qui se moquent gentiment du personnage mis en scène, y compris de l’auteur lui-même victime d’un exercice autographe.
C’est derrière la façade de la réussite professionnelle ou sociale que nous emmène l’auteur. Au fin fond des angoisses qui habitent ceux-là mêmes dont on dit qu’ils ont réussi. C’est une étrange galerie dérisoire et désarmante qui défile sous nos yeux ébaudis. On n’en revient à peine et les nouvelles s’enchaînent pour nous emmener toujours plus loin dans le délire.
On y croise un haut fonctionnaire chasseur de communistes dont la mission consiste à tuer les ennemis de la nation et à en exposer les chefs. Sa vie basculera du mauvais côté le jour où il croira tomber sur la tête de son grand amour. Un clown triste, échappé du cirque, rattrapé avant qu’il ne soit trop tard pour donner encore à rire. Divers écrivains en quête de livres qu’ils n’ont jamais écrits et qui se matérialisent plus ou moins sous leurs yeux dans un destin faustien. Un conservateur de projets anthologiques qui ne verront jamais le jour. Un Ministre des Affaires Etrangères qui va consulter l’Oracle de Delphe (ma préférée !) Un jouer d’échecs poursuivi par la femme de sa vie, partie sans donner de nouvelles. Ou bien encore, une grandiose nouvelle qui met un riche homme d’affaires aux prises avec les affres de l’amour pour une imitation robotique parfaite de son idéal féminin. Et bien d’autres encore, toujours inventives et superbement ciselées.
C’est un florilège de truculence, de thèmes débridés, d’inventivité qui n’a d’autres buts que de nous divertir tout en nous invitant à rechercher ce qui donne vraiment sens à nos vies.
Délicieux et original !
Publié aux Editions José Corti – 208 Pages
13.3.09
Le passage de la nuit – Haruki Murakami
Encore un roman japonais éblouissant, une de ces perles à ajouter à la liste qui commence à devenir substantielle des coups de cœur de Cetalir.
H. Murakami est né en 1949 et son premier livre, Ecoute le chant du vent, malheureusement non traduit en France, lui a valu un prix local. Saluons encore une fois le travail du petit éditeur Belfond qui est l’éditeur principal de ce romancier injustement méconnu chez nous.
« Le passage de la nuit » est une œuvre singulière, une composition d’atmosphère, toute en nuances, un exercice de style qui fait cohabiter quelques personnages, le temps d’une seule nuit.
Une très courte nuit, une fois tous les salary-men de Tokyo rentrés chez eux et avant que les premiers trains de 5.00 ne commencent à déverser leur flot de lointains banlieusards.
Une nuit pour les paumés, les marginaux, les laissés-pour-compte, les violents, cette zone floue faite d’humanité, de joies, de cris et de remugles. Une nuit qui avance au rythme d’une horloge, chaque chapitre nous emmenant d’une heure à l’autre ou nous faisant trottiner sur quelques minutes.
Dans cette nuit, nous allons rapidement tomber sur une prostituée chinoise, ne parlant pas un mot de japonais, et qui vient de se faire tabasser par un cadre, obsédé de l’ordre, de la propreté, de la minutie et qui rythme une vie vide de sens aux mesures de Bach ou de Scarlatti.
Autour de cette prostituée, mal en point, abandonnée au fond d’un minable love-hotel, une petite communauté de solidarité va se former. Nous ferons successivement connaissance d’une femme de chambre en fuite de la mafia japonaise, une gérante ex-catcheuse professionnelle, un étudiant amoureux fou de jazz et deux sœurs. Deux sœurs aussi différentes que possible.
La plus jeune est en proie aux doutes, cherche un sens à sa vie et à ce qui emprisonne sa sœur aînée. Une sœur aînée, belle, admirée, mannequin de mode et qui, sans prévenir, a décidé de se laisser dormir jusqu’au bout, jusqu’au passage de la grande nuit. C’est elle que nous allons observer du coin de l’œil en assistant à un sommeil sans fin, à peine troublé de périodes de courts réveils destinés à maintenir les fonctions biologiques essentielles.
C’est la juxtaposition de toutes ces histoires intimement mêlées qui va à la fois donner sens au roman et former le carburant vital permettant à chacune et chacun de ces paumés de eux aussi passer la nuit et repartir de l’avant.
Laissez-vous porter par le temps qui s’égrène lentement, par la succession de ces tout-petits riens qu’on ne remarque jamais, jusqu’à ce qu’ils finissent par former un morceau de vie, un tableau plein de sens.
Un livre profondément humain, immensément poétique, admirable. Indispensable à tout honnête homme qui se passionne de littérature.
Publié aux Editions Belfond – 230 pages
H. Murakami est né en 1949 et son premier livre, Ecoute le chant du vent, malheureusement non traduit en France, lui a valu un prix local. Saluons encore une fois le travail du petit éditeur Belfond qui est l’éditeur principal de ce romancier injustement méconnu chez nous.
« Le passage de la nuit » est une œuvre singulière, une composition d’atmosphère, toute en nuances, un exercice de style qui fait cohabiter quelques personnages, le temps d’une seule nuit.
Une très courte nuit, une fois tous les salary-men de Tokyo rentrés chez eux et avant que les premiers trains de 5.00 ne commencent à déverser leur flot de lointains banlieusards.
Une nuit pour les paumés, les marginaux, les laissés-pour-compte, les violents, cette zone floue faite d’humanité, de joies, de cris et de remugles. Une nuit qui avance au rythme d’une horloge, chaque chapitre nous emmenant d’une heure à l’autre ou nous faisant trottiner sur quelques minutes.
Dans cette nuit, nous allons rapidement tomber sur une prostituée chinoise, ne parlant pas un mot de japonais, et qui vient de se faire tabasser par un cadre, obsédé de l’ordre, de la propreté, de la minutie et qui rythme une vie vide de sens aux mesures de Bach ou de Scarlatti.
Autour de cette prostituée, mal en point, abandonnée au fond d’un minable love-hotel, une petite communauté de solidarité va se former. Nous ferons successivement connaissance d’une femme de chambre en fuite de la mafia japonaise, une gérante ex-catcheuse professionnelle, un étudiant amoureux fou de jazz et deux sœurs. Deux sœurs aussi différentes que possible.
La plus jeune est en proie aux doutes, cherche un sens à sa vie et à ce qui emprisonne sa sœur aînée. Une sœur aînée, belle, admirée, mannequin de mode et qui, sans prévenir, a décidé de se laisser dormir jusqu’au bout, jusqu’au passage de la grande nuit. C’est elle que nous allons observer du coin de l’œil en assistant à un sommeil sans fin, à peine troublé de périodes de courts réveils destinés à maintenir les fonctions biologiques essentielles.
C’est la juxtaposition de toutes ces histoires intimement mêlées qui va à la fois donner sens au roman et former le carburant vital permettant à chacune et chacun de ces paumés de eux aussi passer la nuit et repartir de l’avant.
Laissez-vous porter par le temps qui s’égrène lentement, par la succession de ces tout-petits riens qu’on ne remarque jamais, jusqu’à ce qu’ils finissent par former un morceau de vie, un tableau plein de sens.
Un livre profondément humain, immensément poétique, admirable. Indispensable à tout honnête homme qui se passionne de littérature.
Publié aux Editions Belfond – 230 pages
7.3.09
Syngué sabour – Pierre de patience – Atiq Rahimi
« syngué sabour (du perse syngue « pierre », et sabour « patience »). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Ce jour là on est délivré. (quatrième de couverture).
Syngué sabour fut couronné du Prix Goncourt 2008. C’est indéniablement un beau roman qui marie avec finesse et intelligence d’une part le côté magique et chamoisé de l’Orient, la frontière perméable qu’il contient en soi entre le monde réel et celui des contes, d’autre part l’aspect moderne et typiquement occidental du devoir de psychanalyse. C’est ce qui en fait l’intérêt assurément.
Fallait-il pour autant lui décerner la plus haute distinction littéraire nationale ? On peut raisonnablement se poser la question même si, une fois encore, ce livre est un bon et beau roman mais, vous l’aurez compris, pas un roman extarordinaire. Si le livre par son récit, par sa dualité culturelle qu’il comporte est indéniablement particulier et remarquable, il ne constitue pas pour autant une authentique révolution littéraire, une novation majeure. Il est agréable à lire, interpelle en mêlant la poésie orientale à l’horreur que porte en soi tout conflit moderne avec sa cohorte de meurtres, de trahisons, de viols et de destructions.
La confession de cette femme, abandonnée à elle-même, à son époux plongé dans un coma profond après avoir reçu une balle en pleine nuque est touchante par sa sincérité, par la vague de folie qu’elle provoque, par la perte de tous repères, une confession donnée à un homme qui n’entend, ne voit, ni ne réagit étant a priori sans risque. Une confession en entraine une autre et fait descendre cette femme au plus profond de ses refoulements, de ses angoisses, la pousse à avouer à cet époux violent, hautain, égoïste et machiste, peu soucieux de sa femme qu’il a épousée à distance pour cause de conflit guerrier, ce qu’elle a toujours caché à tous. Elle la pousse à se délester, à quitter une posture à titre définitif.
Le poids des conventions, de la tradition musulmane a créé une chape de plomb qui va se fendiller puis exploser, au fur et à mesure que le temps passe et que la guerre apporte son lot de surprises. C’est cette progression des mots, cette descente dans l’inconscient, cette nécessité de cracher l’indicible devenu trop lourd à porter qui est passionnante dans ce récit.
C’est la juxtaposition avec la culture rétrograde, arriérée et barbare imposée par les fous de Dieu qui la rend brûlante et terrifiante.
Il en résulte un beau livre à la fin énigmatique. Il vous appartiendra de vous prononcer alors sur la pertinence du choix de l’Académie.
Publié aux Editions P.O.L – 155 pages
Syngué sabour fut couronné du Prix Goncourt 2008. C’est indéniablement un beau roman qui marie avec finesse et intelligence d’une part le côté magique et chamoisé de l’Orient, la frontière perméable qu’il contient en soi entre le monde réel et celui des contes, d’autre part l’aspect moderne et typiquement occidental du devoir de psychanalyse. C’est ce qui en fait l’intérêt assurément.
Fallait-il pour autant lui décerner la plus haute distinction littéraire nationale ? On peut raisonnablement se poser la question même si, une fois encore, ce livre est un bon et beau roman mais, vous l’aurez compris, pas un roman extarordinaire. Si le livre par son récit, par sa dualité culturelle qu’il comporte est indéniablement particulier et remarquable, il ne constitue pas pour autant une authentique révolution littéraire, une novation majeure. Il est agréable à lire, interpelle en mêlant la poésie orientale à l’horreur que porte en soi tout conflit moderne avec sa cohorte de meurtres, de trahisons, de viols et de destructions.
La confession de cette femme, abandonnée à elle-même, à son époux plongé dans un coma profond après avoir reçu une balle en pleine nuque est touchante par sa sincérité, par la vague de folie qu’elle provoque, par la perte de tous repères, une confession donnée à un homme qui n’entend, ne voit, ni ne réagit étant a priori sans risque. Une confession en entraine une autre et fait descendre cette femme au plus profond de ses refoulements, de ses angoisses, la pousse à avouer à cet époux violent, hautain, égoïste et machiste, peu soucieux de sa femme qu’il a épousée à distance pour cause de conflit guerrier, ce qu’elle a toujours caché à tous. Elle la pousse à se délester, à quitter une posture à titre définitif.
Le poids des conventions, de la tradition musulmane a créé une chape de plomb qui va se fendiller puis exploser, au fur et à mesure que le temps passe et que la guerre apporte son lot de surprises. C’est cette progression des mots, cette descente dans l’inconscient, cette nécessité de cracher l’indicible devenu trop lourd à porter qui est passionnante dans ce récit.
C’est la juxtaposition avec la culture rétrograde, arriérée et barbare imposée par les fous de Dieu qui la rend brûlante et terrifiante.
Il en résulte un beau livre à la fin énigmatique. Il vous appartiendra de vous prononcer alors sur la pertinence du choix de l’Académie.
Publié aux Editions P.O.L – 155 pages
Dans l’or du temps – Claude Gallay
" Dans l’or du temps » est un de ces romans au niveau d’ambition et d’exigence qui le font sortir, d’emblée, du lot.
En effet, il peut être fatal à un ouvrage que de vouloir mêler personnages romanesques et références intouchables du monde artistique, comme le fait ici, avec un talent qui force l’admiration, Claude Gallay.
C’est en effet auprès de Breton, de Braque, de Guggenheim que nous allons, indirectement, nous trouver projetés. Il ne sous sera pas donné de les voir ivre et débattre sous nos yeux mais ils existent dans ce roman comme des personnages bien réels, mus par certains sentiments humains primaires tes que la volonté farouche de se constituer une collection d’objets d’arts exceptionnelle, envers et contre tous, comme cela fut le cas de son vivant avec Breton.
Claude Gallay nous propose un étrange voyage initiatique, un parcours faits de détours, de découvertes incidentes, distillées au compte-gouttes par une vieille dame perdue au fond d’une grande bâtisse de Haute-Normandie.
Une dame délicieuse, un peu perverse, fatiguée de porter certains secrets étouffants et qui va trouver en un trentenaire en mal de vivre, le confident éclairé idéal.
L’autre immense force du récit est d’établir un parallélisme entre deux évènements concomitants, qui se nourrissent l’un de l’autre. Celui de la dissolution lente, sournoise, du couple de jeunes adultes qui habitent une petite maison de vacances en bordure de mer. Un couple que le sel de la vie entame, un couple qui ne sait plus se parler et dont le mutisme, exacerbé par la période de vacances si souvent fatales aux couples en crise, va finir par provoquer l’explosion.
En miroir, un autre couple qui se forme, contre nature, improbable. Celui d’un homme de trente ans et d’une femme de quatre-vingt. Mais pas un couple charnel, un couple de l’esprit, uni par l’amour de l’art, en particulier amérindien, hanté par l’esprit des morts. Un homme qui se tait et une femme qui s’est trop longtemps tue et qui va enfin ressentir l’urgence de dire avant qu’il ne soit trop tard.
Derrière une poésie entretenue par une sublime lenteur, celle du temps qui s’écoule doucement, mais à jamais, c’est la férocité de la vie, sa violence, ses reniements, ses lâchetés qui vont enfin se révéler.
Il en ressort un livre unique, superbement ciselé, précieux et fragiles comme les statues indiennes chargées de représenter et d’accueillir les morts. Un livre superbement documenté, savant et savamment écrit.
Publié aux Editions du Rouergue – 317 pages
En effet, il peut être fatal à un ouvrage que de vouloir mêler personnages romanesques et références intouchables du monde artistique, comme le fait ici, avec un talent qui force l’admiration, Claude Gallay.
C’est en effet auprès de Breton, de Braque, de Guggenheim que nous allons, indirectement, nous trouver projetés. Il ne sous sera pas donné de les voir ivre et débattre sous nos yeux mais ils existent dans ce roman comme des personnages bien réels, mus par certains sentiments humains primaires tes que la volonté farouche de se constituer une collection d’objets d’arts exceptionnelle, envers et contre tous, comme cela fut le cas de son vivant avec Breton.
Claude Gallay nous propose un étrange voyage initiatique, un parcours faits de détours, de découvertes incidentes, distillées au compte-gouttes par une vieille dame perdue au fond d’une grande bâtisse de Haute-Normandie.
Une dame délicieuse, un peu perverse, fatiguée de porter certains secrets étouffants et qui va trouver en un trentenaire en mal de vivre, le confident éclairé idéal.
L’autre immense force du récit est d’établir un parallélisme entre deux évènements concomitants, qui se nourrissent l’un de l’autre. Celui de la dissolution lente, sournoise, du couple de jeunes adultes qui habitent une petite maison de vacances en bordure de mer. Un couple que le sel de la vie entame, un couple qui ne sait plus se parler et dont le mutisme, exacerbé par la période de vacances si souvent fatales aux couples en crise, va finir par provoquer l’explosion.
En miroir, un autre couple qui se forme, contre nature, improbable. Celui d’un homme de trente ans et d’une femme de quatre-vingt. Mais pas un couple charnel, un couple de l’esprit, uni par l’amour de l’art, en particulier amérindien, hanté par l’esprit des morts. Un homme qui se tait et une femme qui s’est trop longtemps tue et qui va enfin ressentir l’urgence de dire avant qu’il ne soit trop tard.
Derrière une poésie entretenue par une sublime lenteur, celle du temps qui s’écoule doucement, mais à jamais, c’est la férocité de la vie, sa violence, ses reniements, ses lâchetés qui vont enfin se révéler.
Il en ressort un livre unique, superbement ciselé, précieux et fragiles comme les statues indiennes chargées de représenter et d’accueillir les morts. Un livre superbement documenté, savant et savamment écrit.
Publié aux Editions du Rouergue – 317 pages
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